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de la bastille

Théâtre de la Bastille

Orlando

Avec Katelijne Damen

théâtre

Spectacle en néerlandais surtitré en français

Imaginez-vous : vous vivez plus de trois cents ans et au fil de ce temps, vous changez de sexe ! Vous vous endormez homme et vous réveillez femme ! Non, il ne s’agit pas de l’intrigue de l’un ou de l’autre film trivial de science-fiction, mais de ce que vit Orlando, le personnage principal du roman éponyme de l’auteure anglaise Virginia Woolf. ORLANDO (1929) est un bijou de la littérature du XXe siècle. Une ode à l’imagination, au langage, à la beauté, aux sens, à la vie. Katelijne Damen interprète Orlando, Guy Cassiers met en scène.

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Entretien avec Katelijne Damen et Guy Cassiers

ENTRETIEN DE KATELIJNE DAMEN ET GUY CASSIERS RÉALISÉ PAR ÉLÉONOR CANAC

LE 19 MARS 2013 AU CAFÉ A, À PARIS

 

Vous vous connaissez depuis de nombreuses années. Quand est-ce que votre collaboration artistique a commencé et qu’est-ce qui l’a renforcée au fil du temps ?

Guy Cassiers : L’une de nos premières collaborations s’est faite sur Chimères (Ro Theater, Rotterdam). Cette adaptation du roman de J. Bernlef parle de la façon dont la mémoire fonctionne à travers le personnage d’un homme atteint d’Alzheimer. Dans Orlando, on retrouve d’ailleurs cette question de la mémoire, et plus généralement du temps, mais aussi du rapport entre la réalité et l’imagination, ou comment la deuxième nous permet de découvrir la première.

Katelijne Damen : J’ai rencontré Guy il y a plus de dix ans. Depuis, j’aime beaucoup me promener dans son imaginaire. C’est un monde dans lequel il est bon de se retrouver.

 

Monde souvent très dur si l’on en croit les sujets de vos différents spectacles. Mais, avec Orlando, il semblerait que vous ayez décidé d’aborder une œuvre plus optimiste.

GC : En effet, j’ai souhaité dessiner un jardin différent de ceux dans lesquels j’avais fait se promener Katelijne auparavant, afin qu’elle trouve de nouvelles sources d’inspiration. Sur ce spectacle, elle n’incarne pas seulement Orlando, elle est aussi l’historien qui écrit la biographie d’Orlando et parfois même l’auteur, Virginia Woolf. Ainsi, Katelijne peut jouer avec le vrai et le faux et faire voir au spectateur ce que l’imagination seule peut révéler. Contrairement à mes précédents spectacles, Orlando nous invite à découvrir les possibles de l’individu, les choses qu’il peut réaliser, même les plus petites, et qui donnent du sens à ce tout dans lequel les hommes évoluent. Orlando est une ode à l’imagination, un hymne à l’humain et à la vie.

KD : Si Guy a monté des spectacles assez durs par le passé, avec Orlando ce n’est pas le cas. Ce personnage woolfien est très positif. Il est ouvert. Il veut comprendre le monde qui l’entoure. Et, même lorsqu’il essuie un échec, sa foi dans le futur reste intacte. D’ailleurs, je pense qu'Orlando ne meure pas. Je dis toujours qu'il est une âme qui a besoin de revenir au monde encore et toujours pendant près de trois cents ans pour trouver la paix.

 

Vous parlez souvent de la façon dont Virginia Woolf joue avec le temps. Comment avez-vous réussi à retranscrire les variations temporelles d'Orlando sur scène ?

GC : Virginia Woolf joue avec tous les codes du roman et surtout avec celui de la représentation du temps. Elle peut raconter une minute de la vie d’Orlando en de nombreuses pages et cinquante ans en un paragraphe. Seule une phrase est consacrée à la naissance de l’enfant d’Orlando ! En explorant les possibles du roman, Virginia Woolf offre à son écriture une grande liberté. C’est cette liberté que j’ai souhaité retranscrire sur scène en faisant de Katelijne notre guide au cours de ce voyage dans la mémoire ou, plus généralement, dans le temps.

KD : Comme Guy l'a dit, je ne joue pas seulement le personnage d’Orlando. Mais, ça ne signifie pas que je suis Orlando à certains moments et son biographe ou l'auteur à d'autres. Mon personnage incarne ces trois figures à la fois et utilise leur point de vue respectif pour développer différentes relations au temps.

GC : D’ailleurs, il faut garder à l’esprit que le biographe d’Orlando est un homme qui a une personnalité et fait des choix en conséquence. Il doit organiser le temps, le configurer pour pouvoir le raconter. Il ne peut donc pas être totalement objectif. C’est aussi cet aspect du temps, temps qui se distend, que je traite dans Orlando.

 

Votre travail est connu pour son utilisation de la vidéo. Comment vous êtes-vous servi de cet outil sur Orlando ?

GC : Dans ce spectacle, j’utilise quatre projecteurs et quatre caméras qui filment des photos éparpillées sur le plateau. Celles-ci constituent le monde, l'univers d'Orlando, et Katelijne peut les manipuler à sa guise en zoomant dessus. Ainsi, elle stimule l’imagination du spectateur en changeant de perspective, en créant de nouvelles images, et révèle les mille et une histoires dont l’identité d’Orlando est formée.

 

Katelijne Damen, vous êtes à l'origine de cette adaptation d'Orlando, comment êtes-vous parvenue à transposer ce roman au théâtre ?

KD : Virginia Woolf écrit des phrases parfois très longues qui utilisent des mots qui ne sont plus très usités, des mots « archaïques ». (Sa langue me fait d’ailleurs penser à une forme de néerlandais ancien). Quand j’ai pensé à adapter cette œuvre pour le théâtre, je ne voyais pas encore comment j’allais m’y prendre, mais je savais que je voulais transmettre mon amour pour la langue de Virginia Woolf et permettre aux spectateurs d'en découvrir chaque aspect. Virginia Woolf redonne vie à des mots que l’on avait oubliés. Elle nous les présente tels des cadeaux et nous permet ainsi d’en goûter la saveur.

GC : Katelijne a beaucoup travaillé sur cette adaptation pour réussir à faire entrer le spectateur dans l'univers de Virginia Woolf. Nous avons passé du temps à chercher des moyens de révéler toutes les facettes d’Orlando, facettes que le théâtre nous permet de voir peut-être plus rapidement que le texte lui-même. Par exemple, l'humour dans Orlando n'est pas forcément accessible dès la première lecture, mais la pièce, elle, nous permet de l'éprouver instantanément.

KD : D'ailleurs, au début du spectacle, je sens que les spectateurs ont une pointe d'appréhension car ils se disent que la langue de Virginia Woolf est très sérieuse. Mais ils se rendent vite compte qu'elle est au contraire légère. Alors, ils se détendent et peuvent découvrir toutes les subtilités du langage woolfien et le comique qui se cache derrière le texte. Virginia Woolf disait d’Orlando que c'est une farce.

 

Katelijne Damen, vous avez dit avoir mis énormément de temps à adapter les cinq dernières pages d’Orlando car vous étiez toujours à la recherche d’un « meilleur mot ». Comment avez-vous finalement décidé de traiter la fin du roman?

KD : Je suis effectivement revenue à de très nombreuses reprises sur les cinq dernières pages de ce roman. D’ailleurs, j’ai lu dans le journal de Virginia Woolf qu'elle avait eu beaucoup de mal à les écrire. Je voulais que la fin de la pièce soit belle, mélancolique, mais surtout pas triste ou douloureuse. J'avais envie que le spectateur quitte Orlando comme on quitte sa couverture, son lit, avec un brin de nostalgie.

 

Vous avez dit d’Orlando que c’est une pièce qui chante l’individu. En quoi Orlando est un hymne à l’humain ?

GC : Le théâtre reste l’un des seuls moyens qui nous permet de prendre le temps de quitter la cité pour entrer dans un univers qui, par le biais du mensonge, nous fait voir plus clairement la réalité dans laquelle nous évoluons. Orlando ne nous dit pas ce que le monde doit changer, il nous rappelle simplement les individus que nous sommes. Il nous amène à « ouvrir nos sens », c’est-à-dire à prendre la mesure de notre rôle en tant qu’individu et à assumer les conséquences de nos actes.

KD : La nature a elle aussi un rôle à jouer. À chaque fois qu’il se passe quelque chose dans la vie d’Orlando, elle réagit. Ce personnage a constamment besoin de revenir à elle, de retrouver une certaine pureté, le bon équilibre entre culture et nature. Le Chêne, poème qu’Orlando écrit tout au long de son existence, reflète cette recherche.

 

Je remarque que vous passez souvent du « il » au « elle » quand vous parlez d’Orlando…

KD : Au moment des répétitions, Guy employait surtout « il » et moi « elle » !

GC : Quand arrive son changement de sexe, Orlando demeure la même, mais la société, elle, réagit en voulant absolument lui attribuer un genre. C’est la société et ses codes qui transforment Orlando en femme. Et Virginia Woolf révèle et critique la force de ces codes sociaux. Mais elle ne le fait jamais de façon agressive. Elle les interroge simplement, comme pourrait le faire un enfant, sans jamais forcer notre jugement. Ce qui est essentiel, c’est la liberté qu’on trouve dans Orlando. Virginia Woolf décide que Orlando va devenir femme et Orlando devient femme. C’est de cette liberté qu’offre l’art dont parle avant tout Orlando.

Réalisation +

Spectacle de Guy Cassiers et Katelijne Damen / Toneelhuis. Mise en scène et scénographie Guy Cassiers. Texte Virginia Woolf. Traduction Gerardine Franken. Adaptation Katelijne Damen. Dramaturgie Erwin Jans. Collaborateur artistique Luc De Wit. Vidéo Frederik Jassogne. Lumière Giacomo Gorini. Son Diederik De Cock. Costumes Katelijne Damen.

Production Toneelhuis. Réalisation Théâtre de la Bastille.