Avec Petra Hrašćanec
Ce solo est une déclaration d’amour à la danse. Direct et simple, il nous surprend par sa fraîcheur et sa beauté spontanée. L’amour est une maladie contagieuse. Petra Hrašćanec danse sur des chansons d’amour d’aujourd’hui, et il est impossible de résister à la force émotive de POSES du chanteur canadien Rufus Wainwright quand elle l’interprète au plus près de ses langoureuses mélopées. Dans ce paysage sonore actuel, l’interprète dessine les contours sociaux de ses danses, entre séduction et pouvoir.
La danse a ses raisons d’être et elle en déplie certaines, la danse a ses manières d’apparaître et elle se révèle tour à tour tonique, sensuelle, espiègle et abstraite. Il faut voir ce que nous dit ce corps plein de ressources et terriblement vivant.
A.L.
Entretien avec Saša Božić
Entretien avec Saša Božić, chorégraphe, Love will tear us apart
Propos recueillis par Aude Lavigne.
Saša Božić, sans être danseur vous êtes chorégraphe, ce qui n’est pas courant. Parlez-nous de votre formation et de votre travail dans le domaine de la danse contemporaine.
Saša Božić : C’est une question qui concerne plus largement la réalité de la danse contemporaine dans la région des Balkans. Encore aujourd’hui, il n’y a pas de formation supérieure en danse contemporaine en Croatie et dans toute cette région. Les danseurs ont développé leur propre mode de survie en tant qu’artistes. Ils se posent la question de la formation dans ce domaine et celle des moyens à mettre en œuvre pour leur « auto » éducation.
J’ai fait des études de philosophie à Zagreb mais je souhaitais également suivre une formation académique en arts vivants contemporains. Je n’avais pas les moyens d’aller étudier à l’étranger, je me suis donc inscrit à l’Académie théâtrale de Zagreb. La formation qui se rapprochait le plus de ce que je souhaitais et dont je pouvais bénéficier dans mon pays.
Je ne suis pas danseur, ma formation initiale est celle d’un metteur en scène, mais ma carrière est étroitement liée à la danse. J’ai débuté d’ailleurs en tant que danseur dans une compagnie croate aujourd’hui célèbre, le groupe BADco. Avant de réaliser mes propres chorégraphies, j’ai été dramaturge pour différents chorégraphes de la scène européenne, comme Francesco Scaveta, Dalija Acin, Martine Pisani ou encore Simone Aughterlony. Dans mon travail, je recherche la porosité des frontières entre les différentes pratiques artistiques.
Dramaturge en danse, en quoi cela consiste-t-il ?
Saša Božić : Dans mon cas, il s’agit de créer le contexte dans lequel la danse contemporaine peut être perçue, comprise et transmise au public. Le dramaturge est important quand il parvient à exposer l’objet-même de la danse en tant qu’une forme à consommer, en tant qu’un art qui est un produit.
Quand j’ai débuté, je travaillais dans un contexte assez institutionnel. J’étais le dramaturge associé à la Zagreb Dance Company, la plus importante compagnie de danse croate. Mon rôle consistait à donner une signification tangible à la danse abstraite, à la rendre intelligible. Mais j’ai quitté ce travail parce que je ne souhaitais plus ajouter un sens sur la danse mais chercher à communiquer à partir de la danse et de ses pratiques contemporaines. Comment pouvons-nous encore travailler dans les arts vivants en dehors de toute idée de spectaculaire ? Comment pouvons-nous démocratiser le spectacle des deux côtés, danseurs et spectateurs ? Voilà quelques unes de mes réflexions.
Love will tear us apart est-elle votre première collaboration avec la danseuse Petra Hrašćanec ? Présentez-nous ce solo.
Saša Božić : J’ai travaillé avec Petra Hrašćanec sur de nombreuses pièces mais c’est notre première pièce écrite ensemble. L’initiative revient à la productrice Natasha Rajkovic, directrice du théâtre ITD, unique espace d’art et de théâtre expérimental à Zagreb. Elle m’a demandé une pièce dans laquelle Petra Hrašćanec pourrait danser « plus ».
C’est le point de départ : qu’est-ce que cela signifie pour quelqu’un de danser, comment les danseurs travaillent afin de donner satisfaction aux attentes et aux désirs du public, du chorégraphe, et des directeurs de théâtre. Je suis fasciné par cette idée qu’il y a peut-être une relation secrète entre le danseur et le public. Quelle est cette « connexion » entre le public et le danseur sur scène ? Comment les danseurs se réalisent eux-mêmes comme un acte de danse, à travers le mouvement mais aussi comme un produit face au public.
C’est une pièce courte, précise et audacieuse, assez différente de mes autres pièces.
Parlez-nous de la musique choisie pour ce solo, puisque c’est elle qui mène la danse.
Précisons qu’il y a cinq chansons : Love will tear us apart de Joy Division, Poses de Rufus Wainwright, Bloodbuzz Ohio de The National, In a manner of speaking de Tuxedo Moon et Get me away from here, I am dying de Belle and Sebastian.
Saša Božić : Nous avons choisi ces chansons afin de relier la danse contemporaine et la pop musique. C’est une des questions du spectacle : qu’est-ce que cela signifie de danser sur cette musique ? La danse contemporaine use et abuse de chansons pop, soit pour faire une citation, soit de manière ironique. Un des exemples les plus manifestes de cette esthétique en danse contemporaine est la pièce de Jérôme Bel The Show Must Go On.
Je souhaitais cinq chansons qui parlent d’amour, du concept de l’Amour. Dans notre pièce, l’amour est à la fois un amour pour la danse comme acte théâtral potentiel, mais aussi un amour pour cet acte même de danser. La musique, c’est aussi un dispositif qui pose la question de ce que l’on perçoit et comment on peut s’y identifier. Qui est le propriétaire de la voix ? Dans le spectacle, on observe la relation entre le son et la danseuse comme de subtiles manipulations entre les paroles et les attitudes. Chaque chanson est une déclaration scénique. Comme un petit bijou. Il n’y a pas de développement, pas d’apparition. La danse apparaît alors comme un acte artistique et un évènement social, comme l’appropriation de soi dans un processus créatif, comme une relation active avec le public.