théâtre

de la bastille

Théâtre de la Bastille

main

Kindertotenlieder.


24 avr > 29 avr

La fréquentation de ce petit monde effroyable risque fort de réveiller en nous un sentiment d'une inquiétante étrangeté propice à la plus belle délectable confusion entre fantasme et réalité.

24 au 29 avril 2008, relâche le dimanche

Kindertotenlieder
Conception de Gisèle Vienne. Texte et dramaturgie de Dennis Cooper.

Pus d'informations sur le travail de Gisèle Vienne sur :

http://www.g-v.fr/

http://www.g-v.fr/vf-agenda.htm



Conception Gisèle Vienne. Texte et dramaturgie Dennis Cooper. Musique KTL ( Stephen O'Malley & Peter Rehberg ) et « The Sinking Belle ( Dead Sheep ) » par Sunn O ) ) ) & Boris ( monté par KTL ). Spectacle interprété et créé en collaboration avec Jonathan Capdevielle, Margrét Sara Gudjónsdóttir, Elie Hay, Guillaume Marie, Anja Röttgerkamp ou Anne Mousselet. Conception robots Alexandre Vienne. Création poupées Raphaël Rubbens, Dorothéa Vienne-Pollak, Gisèle Vienne assistés de Manuel Majastre. Création masques en bois Max Kössler. Lumière Patrick Riou. Maquillage Rebecca Flores. Coiffure des poupées Yury Smirnov. Textes traduits de l'américain par Laurence Viallet.

En écho aux poèmes que Gustav Mahler a mis en musique il y a plus d'un siècle, Gisèle Vienne intitule sa dernière création Kindertotenlieder. Comme les chants douloureux du compositeur autrichien, la pièce est marquée par la disparition d'une jeune personne. De l'obscurité du plateau à la lenteur des mouvements, la même langueur envahit la scène recouverte d'un épais tapis de neige. La mort, au centre de cette fugue scénique, est loin cependant de toute représentation apaisante. Le spectacle, fiévreuse cérémonie macabre, révèle au contraire le pouvoir de fascination de la perte, du désespoir, de l'abîme, de la violence et de l'abandon.
Après Une belle enfant blonde et I Apologize, présentés au Théâtre de la Bastille en février 2006, Gisèle Vienne poursuit sa collaboration avec Dennis Cooper. Inlassablement les obsessions de l'écrivain américain refont surface. Hanté par le souvenir de Georges Miles, son grand amour défunt, l'auteur évoque, sous la forme d'un court dialogue, la relation amoureuse, sexuelle et violente entre deux jeunes garçons. La puissance meurtrière de l'un n'a d'égale que la passivité suicidaire de l'autre. « Dans mes deux dernières pièces, il s'agissait de la question du fantasme et de sa mise en scène dans la vie privée, explique Gisèle Vienne. Dans Kindertotenlieder, je pose la question de sa place dans une collectivité. C'est pourquoi cela m'intéresse de rester sur un fantasme similaire, celui de la mise en scène de la mort, de la peur de la mort, du désir de mort, mais en effectuant une sorte de zoom arrière qui permet de passer de la question de la mise en scène des fantasmes dans la sphère intime à la sphère collective ». La pièce s'appuie ainsi sur trois manifestations collectives qui servent chacune d'exutoire à nos fantasmes macabres : un concert de Black Metal, un enterrement et une fête païenne autrichienne.
La scène représente un paysage enneigé peuplé de dix corps immobiles. Isolés sous la capuche de leur sweat shirt, tous habillés en noir, ces pantins, de taille humaine, assistent à un concert. Coiffée d'une longue perruque noire et vêtue d'un pantalon moulant rehaussé d'une ceinture cloutée, une femme, qui pourtant n'émettra aucun son, se tient devant un micro. Elle ressemble à une chanteuse de Black Metal, musique caractérisée par un son agressif, un chant guttural et des atmosphères sombres. Son visage, masque mortuaire d'une extrême blancheur souligné par le noir de ses yeux cernés, procure une sensation de gêne et d'effroi. A ses côtés, les deux musiciens, Stephen O'Malley et Peter Rehberg, interprètent la musique live du spectacle, douce, mystérieuse et planante. Le dos tourné à la salle, les spectateurs-pantins de ce concert « underground » et sous-terrain évoquent une bande d'adolescents désoeuvrés réunis en secret. On leur prête aisément des projets de profanation. Un corps sort du cercueil posé au sol, un autre se retourne vers nous et pleure. A quel drame assistons-nous ? Que s'est-il déroulé ? Qui sont les morts ? Tous des fantômes ou des survivants ? Il serait vain
d'espérer un quelconque éclaircissement. A la limite de la fiction et de la réalité, Gisèle Vienne aime créer du trouble dans les procédés narratifs habituels du théâtre. Histoire en pointillé, travestissement, dédoublement des personnages, hors-champs sonores ou encore réalisme troublant des pantins, tel est son vocabulaire scénique. Trafiquée par des play-back, la parole, distribuée entre les pantins robotisés et les interprètes, vient de loin. Des voix d'outre-tombe qui tranchent avec l'immédiateté, parfois brutale, et la simplicité des actions, marcher, boire de la bière, se battre, attendre. Une sensation d'inconfort grandit à mesure que le drame évolue vers sa perte de repère. D'autant que Gisèle Vienne n'hésite pas, comme elle le précise, à activer « des déclencheurs émotionnels afin de stimuler l'empathie des spectateurs ». Ainsi, elle convoque les Perchten, monstrueux personnages en poil de mouton venus de fêtes populaires autrichiennes toujours célébrées, qui interrompent sans état d'âme la douceur ouatée qui règne sur scène. Comme dans un mauvais rêve, ces figures surgissent par bande pour affoler la population et punir les âmes damnées. De la même manière, Gisèle Vienne, loin des décors « glacés » auxquels elle nous a habitués, réanime sur scène une nature qui semblait depuis longtemps abandonnée � proche visuellement des paysages du peintre romantique allemand Caspard David Friedrich. Elle plonge le plateau dans des variations de lumières lunaires, crée de saisissants effets météorologiques, du brouillard nocturne poussé par le vent à cette impressionnante tempête de neige. Démonstration implacable de réanimation du défunt, le spectacle parvient à déterrer et à agiter en nous le spectre de nos désirs et de nos inquiétudes les plus sourds et les moins
avouables.
A .L .