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de la bastille

Théâtre de la Bastille

Le voyage de Nathalie Béasse au pays des non-merveilles


danse

Dans un monde de désamour, la chorégraphe et metteuse en scène offre des paNathalie Béasse aime les rideaux. Sur le plateau du Théâtre de la Bastille, a Paris, un rideau épais, lourd, d'un beau jaune d'or, borde l'une des coulisses de Wonderful World, nouveau spectacle pour cinq hommes de la chorégraphe et metteuse en scène. Envie d'y glisser la tête, de s'y blottir au risque d'être avalé. Dans Happy Child (2008), sa pièce précédente, que l'on pourra revoir ce mois-ci au Théâtre de la Cité internationale, un petit rideau en moumoute beige, plus brut, plus modeste aussi, rappelle la douceur du doudou en peluche.
Ce rideau-frontière est celui du seuil à ne pas franchir, des secrets à ne pas découvrir, de l'inconscient qu'il vaut mieux parfois laisser dormir. II rappelle aussi le petit théâtre de l'enfance, monte en deux temps, trois mouvements, avec des couvertures. Lamé ou taffetas, le rideau est magique, illusionniste et multicouches. II révèle les personnages et en profite pour les rhabiller en un tour de main. Un jeu cathartique pour ceux qui croient dans les vertus du théâtre et le pouvoir des secrets. Wonderful World pourrait être la suite d'Happy Child. Les gamins d'hier ne sont pas devenus les adultes heureux et bien dans leur peau d'aujourd'hui. La chanson tout miel interprétée en 1967 par Louis Armstrong qui donne son titre au spectacle est a prendre a rebrousse poil. Rien n'est ni merveilleux ni parfait dans le monde des cinq vieux copains qui courent a perdre haleine. Atmosphère de cimetière, comptes a régler, rapports de force, délire alcoolise. L'amitié a fait son temps et ne fait plus de cadeau. L'art de l'électrochoc signe Wonderful World. Procédant par crises successives (crise de nerfs de l'un, de folie de l'autre ), le spectacle sort des rails sans que la routine semble affectée par ces accidents de parcours. Qu'un ami « pète un cable » et se retrouve nu et égare n'affecte personne, car personne ne s'en rend plus compte. Le « théâtre danse » de Nathalie Béasse raconte les effondrements successifs des êtres en proie a leurs incertitudes, a leurs peurs Moins chorégraphique, et moins magique, qu'Happy Child, Wonderful World danse lorsque les personnages basculent dans I irrationnel, fricotent avec leur mort fantasmée, lorsque leur corps se lâche, rattrape par la panique Le mouvement brut alors s'échappe. Très séquencée, la conduite de Wonderful World, parfois trop artificielle dans ses retournements, suit le chemin de l'imaginaire et des associations faussement libres de la mémoire. Aucun lien logique, si ce n est les blessures de chacun et le besoin de se faire du bien et de se protéger. L'esthétique pauvre de Nathalie Béasse, son goût de la boite Wanche et du theatre en abyme qui tricote Tchékhov avec Dante et les témoignages des ouvriers de chez Peugeot, sa touche très personnelle pour raconter les méandres du psychisme, imposent en douceur une écriture d'auteur.
Rosita Boisseau