théâtre

de la bastille

Théâtre de la Bastille

Où les cœurs s'éprennent


06 > 19 JANV

Avec Benoît Carré, Florent Cheippe, Guillaume Laloux, Malvina Plégat, Marie Rémond, Anne-Laure Tondu et Jean-Baptiste Tur

théâtre

Aimer, attendre, s’élancer… Le désir, inépuisable sujet, appelle toujours à l’action. C’est ainsi que Thomas Quillardet a choisi de monter en diptyque Les Nuits de la pleine lune et Le Rayon vert de Éric Rohmer. L’auteur de films – comme Rohmer aimait à se définir – aurait été content, car c’est bien son écriture précise et simple, ses personnages sensibles, que Thomas Quillardet met en scène dans Où les cœurs s'éprennent. Du cinéma au théâtre, le même texte semble avoir traversé le temps, tandis que les personnages se réinventent : nous sommes en 1986 ou en 2017, peu importe, Louise, Delphine et leurs amants nous ressemblent.

Invité pour la première fois au Théâtre de la Bastille, Thomas Quillardet réunit une formidable équipe pour ce projet dont l’ambition repose d’abord sur la direction d’acteurs. Ensemble, travaillant à la table, ils ont choisi de confronter deux textes très différents, tirés de la série Comédies et Proverbes. Tournés l’un après l’autre, ils marquent en effet une rupture dans l’œuvre de Rohmer, passant d’un scénario très écrit avec Les Nuits de la pleine lune à une large place laissée à l’improvisation dans Le Rayon vert, tourné dans des conditions volontairement proches de l’amateurisme.
Pourtant, les deux scénarios se répondent. D’une pièce à l’autre, une figure féminine est au centre : l’une (Anne-Laure Tondu) est en couple et cherche ailleurs son idéal, l’autre (Marie Rémond) est seule et cherche son idéal amoureux. Et chacune dans sa quête nous parle de solitude. Dans l'apparente banalité de ces personnages en proie à leurs émotions et sentiments, de plus larges questions nous sont posées : peut-on vivre seul(e) ? qu’est-ce qui me guide vers l'autre ?
Sans y répondre, Rohmer écrit : « Tout est fortuit, sauf le hasard ».

E.K.

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Article

Entretien avec Thomas Quillardet

Entretien Thomas Quillardet


Elsa Kedadouche : Vous appartenez à une génération un peu plus jeune que celle qui a pu découvrir les premiers films de Rohmer. Que représente Rohmer et son œuvre pour vous ?

Thomas Quillardet : Je fais partie d'une génération qui a connu Rohmer vers la fin. Mon premier souvenir au cinéma, c'était Contes d'été, j'avais 17 ans. J'y étais allé par curiosité, sans connaître, et j'ai été marqué par une certaine légèreté, je me suis senti concerné, je voyais des gens en prise avec leurs désirs... Plus tard, j'ai remonté le fil, j'ai regardé ses autres films, puis j'ai décroché un moment car je trouvais que les acteurs jouaient faux. Je devais avoir 22 ans, je pensais que ce n'était pas possible de jouer comme ça, si peu naturel, je pensais que les acteurs étaient mal dirigés. Finalement, il y a deux ou trois ans, j'ai découvert que cette direction d'acteur permettait en fait une autre écoute du texte : sans ce décalage dans le jeu, les situations banales et quotidiennes n'auraient pas un tel impact sur le spectateur.


E. K. : Rohmer disait : "Je ne me considère pas comme un réalisateur mais comme un auteur de films". Le théâtre est-il pour vous un moyen de nous faire réentendre ou découvrir cette écriture rohmérienne ?

T. Q. : Oui, c'est vraiment l'objectif car c'est Rohmer en tant qu'auteur qui m'intéresse. Il était d'ailleurs assez frustré que ses textes ne soient pas montés au théâtre, je pense qu'il a eu un rendez-vous raté avec le théâtre. J'aimerais que les gens entendent une langue redéployée par le théâtre. Parce qu'ils sont bien écrits, fins et vifs, allant à l'essentiel. Les textes de Rohmer permettent aux acteurs d'être à un niveau de concret et de rapport au présent que je n'ai pas rencontré dans d’autres textes de théâtre. J'ai cherché, mal peut-être, des textes en Europe, en Amérique latine... sans trouver. Et puis j'ai vu La Nuit de la pleine lune et Le Rayon vert et je me suis dit : il y a un vrai texte. En lisant les scénarios, j'y ai vu un phrasé concret et une radiographie du désir qui m'ont donné envie de les travailler au théâtre.


E. K. : Après une longue expérience au sein d'un collectif, vous avez choisi une équipe d'acteurs avec lesquels vous n'aviez jamais travaillé... Comment travaillez-vous avec eux ?

T. Q. : C'est une nouvelle équipe composée de huit acteurs n'ayant jamais travaillé ensemble. Je les ai vus jouer et les ai choisis avec un vrai désir de travail. C'est un projet sur la rencontre et nous nous rencontrons aussi. Ce qui est formidable, c'est que nous avons avancé dans la recherche ensemble, sans production, sans savoir ce que nous en ferions et cela s'est déplié très simplement. Nous abordons le texte comme une pièce de théâtre. Nous ne travaillons pas sur les films, j'ai demandé aux acteurs de ne pas les regarder, donc on ne se demande pas comment adapter l'image, par exemple.
Je reviens à des notions que j'avais laissées de côté comme le personnage, l'incarnation, la narration, ce qui m'intéresse beaucoup aujourd'hui. J'ai envie de plonger dans la construction des personnages de façon intime avec les acteurs. Par exemple, l'anecdote personnelle très présente pendant les répétitions nourrit beaucoup le travail.


E. K. : Rohmer dans ses tournages laissait beaucoup de place à l'aléa, avec des parties parfois improvisées. Est-ce aussi votre façon de travailler au plateau ?

T. Q. : Oui ! Nous sommes très près du texte dans Les Nuits de la pleine lune, tandis que dans Le Rayon vert, beaucoup de scènes sont improvisées, donc pas toujours bien écrites. Tout comme dans le film nous suivons Marie Rivière qui interprète Delphine de façon presque intime, je voudrais que l'on suive sur scène Marie Rémond et Anne-Laure Tondu au plus près d'elles-mêmes. Chercher ce qui les fait jouer et pour cela suivre leurs instincts, en passant notamment par l'improvisation, sans rien leur imposer. Et puis, la sensibilité des personnages passe beaucoup par l'image dans le film, alors nous allons travailler à lui donner davantage de complexité dans le jeu.


E. K. :Vous avez choisi de monter Les Nuits de la pleine lune et Le Rayon vert à la suite. Que vient lier ces deux pièces ?

T. Q. : C'est la question de la solitude qui m'intéresse et que je veux relier avec ces deux textes. Comment naviguer entre notre solitude, le couple, la solitude de l'autre ?
En couple, on se demande souvent comment être ensemble, alors que je crois qu'il faut se demander comment laisser l'autre seul et comment être seul pour se rejoindre de temps en temps. C'est la question posée dans la première partie, Les Nuits de la pleine lune. Dans la seconde partie, avec Le Rayon vert, la question de la solitude est posée autrement : comment supporter ma solitude ? comment trouver quelqu'un ?
Ces deux textes portent une belle idée de la solitude comme élément de construction personnelle. J'avais tendance à penser que la solitude était insupportable et ils m'ont appris que c'est un vrai mouvement de vie, qu'on pouvait l'éprouver avec plaisir. Comme être dans un lit avec quelqu'un qui part travailler et sentir arriver la joie de se retrouver seul, tranquille.


E. K. : Rohmer a adapté deux œuvres littéraires au cinéma et aujourd'hui, vous montez deux de ses films au théâtre. D'un art à l'autre, l'adaptation d'une œuvre pose toujours la question de la fidélité et de la liberté. Qu'en ferez-vous ?

T. Q. : Le texte est très beau, aussi je vais seulement adapter des petites choses pour des nécessités scénographiques, pour mieux lier les scènes entre elles.
Je resterai donc fidèle à l'équilibre et à l'agencement des scénarios. Par contre, des questions de temps et d'espace se posent. En quelle année sommes-nous ? J'aurais tendance à répondre : on ne sait pas, on s'en fiche... mais il y a quelques situations qui ne sont pas possibles aujourd'hui. Par exemple, attendre un coup de fil pendant des heures chez soi, ce n'est plus possible puisqu'on a des portables. Toutefois, je voudrais pouvoir « gommer » les années 80, pour que le spectateur se sente concerné et pour ne pas enfermer Rohmer dans cette période. Cela sera tout le travail du costumier. On cherchera aussi par la musique à être dans un temps possible pour aujourd'hui, parce que dans les films de Rohmer, les corps sont très en jeu, ils passent leur temps à danser, chanter, rire... Ce sont mes grandes questions de travail du moment, on devra faire des choix.

Entretien Thomas Quillardet
 

 

Elsa Kedadouche : Vous appartenez à une génération un peu plus jeune que celle qui a pu découvrir les premiers films de Rohmer. Que représente Rohmer et son œuvre pour vous ?

 

Thomas Quillardet : Je fais partie d'une génération qui a connu Rohmer vers la fin. Mon premier souvenir au cinéma, c'était Contes d'été, j'avais 17 ans. J'y étais allé par curiosité, sans connaître, et j'ai été marqué par une certaine légèreté, je me suis senti concerné, je voyais des gens en prise avec leurs désirs... Plus tard, j'ai remonté le fil, j'ai regardé ses autres films, puis j'ai décroché un moment car je trouvais que les acteurs jouaient faux. Je devais avoir 22 ans, je pensais que ce n'était pas possible de jouer comme ça, si peu naturel, je pensais que les acteurs étaient mal dirigés. Finalement, il y a deux ou trois ans, j'ai découvert que cette direction d'acteur permettait en fait une autre écoute du texte : sans ce décalage dans le jeu, les situations banales et quotidiennes n'auraient pas un tel impact sur le spectateur.

 

E. K. : Rohmer disait : "Je ne me considère pas comme un réalisateur mais comme un auteur de films". Le théâtre est-il pour vous un moyen de nous faire réentendre ou découvrir cette écriture rohmérienne ?

 

T. Q. : Oui, c'est vraiment l'objectif car c'est Rohmer en tant qu'auteur qui m'intéresse. Il était d'ailleurs assez frustré que ses textes ne soient pas montés au théâtre, je pense qu'il a eu un rendez-vous raté avec le théâtre. J'aimerais que les gens entendent une langue redéployée par le théâtre. Parce qu'ils sont bien écrits, fins et vifs, allant à l'essentiel. Les textes de Rohmer permettent aux acteurs d'être à un niveau de concret et de rapport au présent que je n'ai pas rencontré dans d’autres textes de théâtre. J'ai cherché, mal peut-être, des textes en Europe, en Amérique latine... sans trouver. Et puis j'ai vu La Nuit de la pleine lune et Le Rayon vert et je me suis dit : il y a un vrai texte. En lisant les scénarios, j'y ai vu un phrasé concret et une radiographie du désir qui m'ont donné envie de les travailler au théâtre.

 

E. K. : Après une longue expérience au sein d'un collectif, vous avez choisi une équipe d'acteurs avec lesquels vous n'aviez jamais travaillé... Comment travaillez-vous avec eux ?

 

T. Q. : C'est une nouvelle équipe composée de huit acteurs n'ayant jamais travaillé ensemble. Je les ai vus jouer et les ai choisis avec un vrai désir de travail. C'est un projet sur la rencontre et nous nous rencontrons aussi. Ce qui est formidable, c'est que nous avons avancé dans la recherche ensemble, sans production, sans savoir ce que nous en ferions et cela s'est déplié très simplement. Nous abordons le texte comme une pièce de théâtre. Nous ne travaillons pas sur les films, j'ai demandé aux acteurs de ne pas les regarder, donc on ne se demande pas comment adapter l'image, par exemple.

Je reviens à des notions que j'avais laissées de côté comme le personnage, l'incarnation, la narration, ce qui m'intéresse beaucoup aujourd'hui. J'ai envie de plonger dans la construction des personnages de façon intime avec les acteurs. Par exemple, l'anecdote personnelle très présente pendant les répétitions nourrit beaucoup le travail.

 

 

 

E. K. : Rohmer dans ses tournages laissait beaucoup de place à l'aléa, avec des parties parfois improvisées. Est-ce aussi votre façon de travailler au plateau ? 

 

T. Q. : Oui ! Nous sommes très près du texte dans Les Nuits de la pleine lune, tandis que dans Le Rayon vert, beaucoup de scènes sont improvisées, donc pas toujours bien écrites. Tout comme dans le film nous suivons Marie Rivière qui interprète Delphine de façon presque intime, je voudrais que l'on suive sur scène Marie Rémond et Anne-Laure Tondu au plus près d'elles-mêmes. Chercher ce qui les fait jouer et pour cela suivre leurs instincts, en passant notamment par l'improvisation, sans rien leur imposer. Et puis, la sensibilité des personnages passe beaucoup par l'image dans le film, alors nous allons travailler à lui donner davantage de complexité dans le jeu.

 

 

E. K. :Vous avez choisi de monter Les Nuits de la pleine lune et Le Rayon vert à la suite. Que vient lier ces deux pièces ?

 

T. Q. : C'est la question de la solitude qui m'intéresse et que je veux relier avec ces deux textes. Comment naviguer entre notre solitude, le couple, la solitude de l'autre ?

En couple, on se demande souvent comment être ensemble, alors que je crois qu'il faut se demander comment laisser l'autre seul et comment être seul pour se rejoindre de temps en temps. C'est la question posée dans la première partie, Les Nuits de la pleine lune. Dans la seconde partie, avec Le Rayon vert, la question de la solitude est posée autrement : comment supporter ma solitude ? comment trouver quelqu'un ?

Ces deux textes portent une belle idée de la solitude comme élément de construction personnelle. J'avais tendance à penser que la solitude était insupportable et ils m'ont appris que c'est un vrai mouvement de vie, qu'on pouvait l'éprouver avec plaisir. Comme être dans un lit avec quelqu'un qui part travailler et sentir arriver la joie de se retrouver seul, tranquille.

 

 

E. K. : Rohmer a adapté deux œuvres littéraires au cinéma et aujourd'hui, vous montez deux de ses films au théâtre. D'un art à l'autre, l'adaptation d'une œuvre pose toujours la question de la fidélité et de la liberté. Qu'en ferez-vous ?

 

T. Q. : Le texte est très beau, aussi je vais seulement adapter des petites choses pour des nécessités scénographiques, pour mieux lier les scènes entre elles.

Je resterai donc fidèle à l'équilibre et à l'agencement des scénarios. Par contre, des questions de temps et d'espace se posent. En quelle année sommes-nous ? J'aurais tendance à répondre : on ne sait pas, on s'en fiche... mais il y a quelques situations qui ne sont pas possibles aujourd'hui. Par exemple, attendre un coup de fil pendant des heures chez soi, ce n'est plus possible puisqu'on a des portables. Toutefois, je voudrais pouvoir « gommer » les années 80, pour que le spectateur se sente concerné et pour ne pas enfermer Rohmer dans cette période. Cela sera tout le travail du costumier. On cherchera aussi par la musique à être dans un temps possible pour aujourd'hui, parce que dans les films de Rohmer, les corps sont très en jeu, ils passent leur temps à danser, chanter, rire... Ce sont mes grandes questions de travail du moment, on devra faire des choix.

Réalisation +

 

D'après les scénarios des films Les Nuits de la pleine lune et Le Rayon vert de Éric Rohmer. Mise en scène Thomas Quillardet. Adaptation Marie Rémond et Thomas Quillardet.

 

Production 8 avril. Coproduction Le Théâtre de Saint-Nazaire – Scène nationale. Avec l'aide du Ministère de la Culture, de la DRAC Île-de-France et d'Arcadi Île-de-France / dispositif d'accompagnements. Avec le soutien du petit bureau et de l'ADAMI Administration le petit bureau Claire Guièze.