Avec José Paulo Dos Santos, Yumiko Funaya, Anna Massoni, Norbert Pape, Nans Pierson et Noé Soulier
En collaboration avec le Festival d'Automne à Paris et le CND
Fort d'un parcours mêlant ballet classique et danse contemporaine, Noé Soulier dissèque avec la précision d'un chirurgien la manière dont l'appréhension des mouvements affecte l'expérience que l'on en fait. Dans Removing, il construit des séquences de mouvements qui déroutent et esquivent la lecture instinctive de ce que l'on voit. Combative, la danse s'inspire du jiu-jitsu brésilien, cet art martial qui fait collaborer les adversaires s’affrontant. Elle est aussi organique, comme les plantes qui, en poussant, épousent les contraintes de leur environnement. En effectuant des gestes sans finalité qui les contraignent mutuellement, les danseurs dessinent un unisson dissonant bousculant nos certitudes. Sur scène, Noé Soulier fait mouvoir cette vibration particulière que contient le vide.
Kinga Kecskés
Entretien avec Noé Soulier
Entretien avec Noé Soulier, propos recueillis par Aude Lavigne.
Aude Lavigne : Noé Soulier, en 2009, vous dansez dans votre première pièce intitulée Le Royaume des ombres. En exergue de ce solo, vous placez cette phrase de la philosophe Hannah Arendt extraite de La Crise de La culture, « le fil de la tradition est rompu et nous devons lire ses auteurs comme si personne ne les avait jamais lus auparavant. » C’est votre programme chorégraphique ?
Noé Soulier : C'est une phrase qui m'avait beaucoup intrigué. Pour moi, c'est une énigme qui demeure stimulante. Que pourrait être cette lecture radicalement nouvelle de l'héritage que nous recevons ? Le Royaume des ombres est en relation directe avec l'héritage de la danse classique. J'ai réalisé plusieurs pièces qui poursuivent cette recherche, notamment Signe blanc et Corps de ballet avec le Ballet de Lorraine, où j'essayais de déployer spatialement et temporellement la structure interne du vocabulaire de la danse classique. J'ai tenté de me glisser dans les interstices du vocabulaire pour révéler cette structure en la détournant ou en la perturbant.
Dans d'autres projets, comme Mouvement sur mouvement, je me penche sur les modes d'appréhension du mouvement qui sous-tendent les pratiques chorégraphiques. Comment les mouvements sont-ils définis et quelles stratégies sont employées pour rendre visibles ces modes de définitions du mouvement ? Ces modes d'appréhension offrent différentes focales d'attention sur le mouvement et sur le corps. La manière dont on conçoit le mouvement affecte profondément l'expérience que l'on en fait. Par le discours et par les gestes, j'ai essayé de chorégraphier la manière dont on prête attention au mouvement plus que les mouvements eux-mêmes.
A.L. : Removing est la pièce que vous présentez au Théâtre de la Bastille. Comment nous l’expliquer alors qu’elle n’est pas encore créée ?
N.S. : Dans Removing, la relation à l'histoire de la danse est encore différente. Elle est plus souterraine mais demeure très présente pour moi. La pièce s'appuie sur l'analyse des modes de définition et de monstration du mouvement que j'ai développés dans Mouvement sur mouvement. Les mouvements sont définis par des buts pratiques comme frapper, éviter, attraper, se déplacer, aller au sol, etc. Ce mode de définition est très riche, il permet de capturer certains paramètres qui échappent à d'autres approches comme la dynamique, le tonus musculaire, l'investissement corporel ou les affects qui accompagnent le mouvement. Les séquences sont structurées de manière à ce que les buts pratiques soient présents dans l'intention du danseur, sans être immédiatement identifiables pour les spectateurs. Cela permet de focaliser l'attention sur le mouvement lui-même et non sur la reconnaissance de l'action et de rendre possible de multiples interprétations d'un même mouvement.
On joue sur différents niveaux d'unisson pour orienter l'attention sur certains paramètres du mouvement. L'unisson permet de faire apparaître ce qu'il y a de commun entre différentes interprétations d'une même séquence de mouvement. On travaille avec des unissons partiels où seuls certains paramètres sont communs. On perçoit alors qu'il y a quelque chose de commun sans pouvoir dire exactement de quoi il s'agit. Cela oriente le regard sans imposer une lecture donnée. On obtient aussi une vibration particulière entre les danseurs car c'est une manière très particulière de danser ensemble.
A.L. : La densité des gestes de Removing provient notamment du jiu-jitsu brésilien, art martial qui se concentre sur le combat au sol. Pourquoi emprunter cet art et comment expliquez-vous que le combat soit une ressource pour la danse ?
N.S. : Une des séquences s'appuie sur le jiu-jitsu brésilien. J'ai découvert cet art martial en cherchant des pratiques où l'on accomplit des buts précis sur le corps de l'autre. Il n'y a pas de coups ni de projections, chaque combattant essaie de faire abandonner son adversaire en amenant une de ses articulations à la limite de son amplitude de mouvement. Pour cela, on utilise des bras, des leviers qui permettent d'utiliser la structure articulaire du corps humain à son avantage en utilisant son propre poids et le poids de l'autre. Cela ne ressemble pas vraiment à un combat. On dirait plutôt un accouplement, il y a une dimension sensuelle et sexuelle, mais aussi quelque chose d'animal ou même de végétal, comme deux plantes qui s'accrochent l'une à l'autre. Si l'on ne connaît pas la technique, on perçoit que les mouvements sont motivés par des buts très précis mais on ne saisit pas cette finalité. Les danseurs collaborent pour exécuter la séquence de mouvements, mais cette collaboration prend la forme d'une contrainte mutuelle, et c'est cette contrainte mutuelle qui génère le mouvement.
Création sonore Éric La Casa Conception et chorégraphie Noé Soulier Lumière Gilles Gentner Costumes Chiara Valle Vallomini
Production déléguée ND Productions Coproduction LE CND, un centre d’art pour la danse – Pantin, Festival d’Automne à Paris, Maison de la Danse – Lyon, TAP – Théâtre Auditorium de Poitiers, Centre de développement chorégraphique Toulouse – Midi-Pyrénées, Musée de la danse – Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne, PACT Zollverein – Essen, Kaaitheater – Bruxelles. Coréalisation Théâtre de la Bastille, Festival d’Automne à Paris, LE CND, un centre d'art pour la danse – Pantin Avec le soutien de la DRAC Île-de-France au titre de l’aide au projet, de l’Onda Noé Soulier est artiste associé au CND, un centre d'art pour la danse – Pantin jusqu'en 2017