théâtre

de la bastille

Théâtre de la Bastille

main

TIMELOSS


24 nov > 30 nov

Avec Hassan Madjooni, Mahin Sadri

théâtre

En collaboration avec le Festival d'Automne à Paris

À propos de Timeloss

« N’est-ce pas difficile de travailler en Iran ? » est une question que l’on me pose systématiquement. Et on la pose de telle façon que la réponse s’impose : « Si, c’est difficile » est l’approbation que mes interlocuteurs attendent. Celle qui les rassure, qui leur permet de payer leurs impôts et de voter à leurs élections, l’esprit tranquille. Certes, leur situation, notamment économique, est difficile, mais n’ont-ils pas évité le pire en ne naissant pas dans un pays comme l’Iran ?

Il est un fait que les metteurs en scène iraniens doivent lutter pour travailler, de même que leurs homologues à peu près partout dans le monde. Notre spécificité réside sans doute dans le type d’adversaires que nous avons à combattre. À Stockholm ou à Cologne, il s’agit de lutter contre les fauteuils vides et les critiques pointilleux, contre les bars bon marché et les salles de cinéma IMAX où en payant deux fois moins que pour voir un de mes spectacles inertes, les spectateurs peuvent s’amuser dix fois plus. En Iran, en revanche, ni bars, ni boîtes de nuit, ni salles IMAX, ni même, pour ainsi dire, de films étrangers dans les salles de cinéma. Donc, hormis ceux qui préfèrent rester chez eux pour regarder la télévision par satellite ou les DVD des derniers films issus du monde entier, les jeunes ne peuvent qu’aller au théâtre, ou au cinéma pour voir des films iraniens, ou encore passer du temps dans les galeries et les cafés. L’Iran n’est donc peut-être pas un lieu de vie idéal pour la jeunesse (comme en témoigne la constante fuite des cerveaux), mais c’est le paradis des théâtreux ! Le fantasme de tout metteur en scène de théâtre est peut-être de voir des jeunes spectateurs attendre des heures dans des files d’attente pour se procurer des billets de leur spectacle. Cela m’est arrivé à plusieurs reprises. Je dois avouer que cette expérience est si délicieuse, si unique que, pour pouvoir la revivre, je suis prêt à affronter encore les commissions de censure les plus tatillonnes et les autorités les plus inflexibles.

Il y a douze ans, lorsque je travaillais sur Dance on Glasses, je me souviens que nous avions moins de 50 euros pour notre décor. Nous ne pouvions donc guère envisager de construire autre chose qu’une table et deux chaises. La salle où nous jouions n’avait que quatre projecteurs. À l’aide d’un peu de papier aluminium, nous les avons transformés en découpes. En ce temps-là, nous devions adapter l’esthétique de notre pièce à nos contraintes budgétaires. Dance on Glasses est donc devenu l’histoire de deux personnes qui n’avaient pas la force de se lever de leur place, avant tout parce que si elles se levaient, elles sortaient de la lumière. Lorsque la pièce s’est mise à voyager, je me suis dit que cette inertie nécessiterait peut-être une justification préalable auprès des spectateurs étrangers. Je craignais qu’ils se demandent pourquoi les deux personnages ne se rapprochaient pas de toute la pièce. Pour moi, cela était évident. Moins d’un an avant de monter la pièce, je m’étais trouvé dans une situation similaire, lorsque je me séparais de la fille que j’aimais. J’étais enfoncé dans mon fauteuil, au point où j’étais incapable de me lever et d’aller baisser la musique pour pouvoir entendre sa voix et répondre à ses questions. Mais lorsque nous répétions la pièce, je doutais que d’autres aient vécu des expériences comparables et qu’ils puissent comprendre que bien qu’étant jeune et en pleine santé, l’on se retrouve, par moments, totalement paralysé, incapable de se lever. La tournée de Dance on Glasses dans le monde a prouvé que fort heureusement, ou malheureusement, partout, les gens connaissent cette expérience. Par la suite, les personnages de ce type se sont installés dans mon univers. Grâce au succès de Dance on Glasses, mes spectacles suivants se jouaient dans des salles qui avaient suffisamment d’éclairages pour permettre aux comédiens de se lever sans sortir de la lumière. Et pourtant, eux aussi manquaient de force pour se lever et provoquer un changement dans leur situation. Qu’ils fussent les immigrés clandestins de Amid the Clouds, les assassins de Quartet: A Journey North, ou bien Ivanov, d’après Tchekhov, ils étaient enfoncés dans leur fauteuil ou leur lit au point d’y être comme incrustés.Douze ans plus tard, je reviens à Dance on Glasses. Les spectateurs de la pièce et moi avons vieilli de douze ans. Depuis 2006, date des dernières représentations, je n’ai revu que très rarement les comédiens de la pièce. Le monde a changé. Saddam est mort, l’Espagne a gagné la coupe du monde, Ahmadinejad, Bush et Sarkozy sont arrivés au pouvoir et en sont repartis, tout a changé. Je ne suis plus ce jeune homme en colère. Pour être en colère, il faut avoir foi en quelque chose, en une voie, une vérité, et qui plus est, avoir la force de se battre pour y accéder. J’avoue que je n’ai rien de tout cela aujourd’hui. Ni mes certitudes d’antan, ni la force de me battre. Les journalistes et les critiques occidentaux souhaitent que je leur parle des exécutions, de l’interdiction de l’homosexualité, du voile obligatoire pour faire de moi le témoin vivant des événements que relatent chaque jour leurs médias. De son côté, mon peuple souhaite qu’en tant qu’ambassadeur, je donne une image différente de celle véhiculée par les médias de l’Iran, que je fasse le récit de ses joies, de son insouciance, que je donne un visage pacifique et sympathique à ceux que l’on n’a donné à voir que comme des représentants de l’axe du mal ou des victimes. Ma liberté n’est pas tant réduite par le Bureau de contrôle et d’évaluation que par ces attentes et ces jugements qui m’aliènent.

Timeloss est le fruit de cette période de mon travail. Une pièce qui ne propose pas de réponse, car son auteur est aussi échaudé que ses spectateurs. Je laisse les réponses et les solutions aux politiciens et aux émissions de télévision. Mon théâtre continue d’être celui de l’incapacité des hommes et des femmes à se lever. Peut-être est-il devenu légèrement plus pessimiste. À la fin de Dance on Glasses, au moins, lorsque l’homme voyait qu’il allait tout perdre et que la femme allait le quitter, il se levait et allait vers elle, dans l’espoir de la retenir. Dans Timeloss, lorsque l’homme perd tout, il reste à sa place et se contente d’observer. Timeloss est une pièce de déni de soi. Elle traite du passé, non pour le regretter mais pour le rejeter. Plus précisément, elle ne traite pas du passé, mais du regard sur le passé. Peu importe donc que vous ayez vu Dance on Glasses, qui n’est là qu’un objet, un prétexte pour regarder en arrière. Tel Orphée qui se retourne et regarde, tout en sachant que cela peut faire basculer sa destinée.

 

Amir Reza Koohestani, avril 2014
Traduction du persan Massoumeh Lahidji

Réalisation +

Texte, mise en scène et scénographie Amir Reza Koohestani Chorégraphie Ehsan Hemat Musique Thousand Years de Sting Vidéos Abed Aabest, Behdokht Valian Assistant à la mise en scène Mohammad Reza Hosseinzadeh Musique et création son Pouya Pouramin Vidéos et direction technique Davoud Sadri Costumes Negar Nemati Régie plateau et opératrice surtitres Negar Nobakht Foghani Traduction française et adaptation surtitrage Massoumeh Lahidji

La pièce comprend des extraits de Dance on Glasses (texte, mise en scène et scénographie Amir Reza Koohestani avec Sharareh Mansour Abadi et Ali Moini, chorégraphie Ehsan Hemat, musiqueThousand Years de Sting). Dances on Glasses a été présenté au Théâtre de la Bastille en 2005

Production Mehr Theatre Group Coproduction Festival actOral avec Marseille-Provence 2013 - Capitale Européenne de la Culture, La Bâtie - Festival de Genève Directeurs de production Mohammad Reza Hosseinzadeh et Pierre Reis Administration compagnie et tournées Pierre Reis Spectacle présenté avec le soutien de l'Onda (Office national de diffusion artistique) Extraits de Dance on Glasses Production Mehr Theatre Group Création en 2001 à Shiraz, Iran