Avec Mélanie Bourgeois, Pierre Germain, Ulysse Pujo, Natalie Royer
Avec Le Festival d'Automne à Paris
La dénonciation de la cruauté sociale est l’axe principal du théâtre de Fassbinder, car elle livre les âmes tendres à la fringale insatiable du Moloch. Dans ces quatre propositions, ce sera donc le texte seul, dans toute la puissance des mots, qui sera autorisé à pointer du doigt l’absurdité de la répétition des sacrifices.
GOUTTES DANS L’OCÉAN
Dans les relations amoureuses des quatre protagonistes se dévoile le rapport malsain consommant-consommé… L’« amour » ne saurait échapper aux lois d’une nature humaine de plus en plus corrompue par la consommation.
Entretien avec Gwenaël Morin
ENTRETIEN
Réalisé par Christophe Pineau – mars 2013
Le mot Anti-Théâtre apparaît dans les années 50. Pouvez-vous donner votre propre définition de cette manière d'investir un lieu et d'aborder la scène ?
À la différence de l'« Anti-Théâtre » français de Ionesco et consort qui prenaient dans les années 50 position contre le sempiternel théâtre bourgeois, Antiteater de Munich est un nom inventé dans la précipitation au cours de la nuit précédant la réouverture d'un lieu qui jusqu'alors s’appelait l’Action Theater. Antiteater est davantage un geste de provocation que la définition d’une nouvelle esthétique théâtrale.
Pour moi, Antiteatre est une sur-affirmation du Théâtre. Antiteatre est le théâtre qui s’avoue comme tel contre celui, inavoué, que les hommes se jouent à eux-mêmes. Antiteatre ne cache rien. Aucun concept, aucun programme… Antiteatre est indéfinissable, incompréhensible et clair.
Antiteatre refuse la fatalité d’un monde réellement renversé où le vrai serait un moment du faux. Antiteatre revendique l’artifice jusqu'à l’épuisement dans l’utopie de saisir, par défaut, la vérité. Hamlet n’a pas d’autre dessein lorsqu’il utilise la pantomime de ses amis comédiens.
La vérité ne s’énonce pas : elle s’expérimente, il faut la saisir au vol. Le théâtre est une expérience de la vérité. J’appelle cette expérience Antiteatre.
En 1968 à Munich, Fassbinder, dans une période d'intense productivité, réforme un espace et le nomme l'Anti-Theater. Quand, en 2009, vous créez le Théâtre Permanent aux Laboratoires d'Aubervilliers, aviez-vous en tête cette expérience munichoise ?
Non, en 2009 je connaissais effectivement l’œuvre de Fassbinder mais je n’ai pas établi de correspondance avec mon propre travail à ce moment-là. J’étais alors sous l’influence directe de Thomas Hirschhorn et en particulier de l’œuvre Musée Précaire Albinet.
Il semblerait que vous partagiez avec Fassbinder une étonnante force de proposition. Avez-vous découvert très tôt une profonde complicité artistique avec ce créateur météorite et prolixe ? Vous sentez-vous en accord avec l'approche politique du théâtre par Fassbinder et comment la définiriez-vous ?
Je devrais être flatté que vous établissiez une correspondance entre mon engagement pour le théâtre et l’engagement artistique de Fassbinder, mais je crois que c’est totalement hors de proportion.
Je ne suis ni acteur, ni cinéaste, ni auteur. Je suis seulement metteur en scène de théâtre. La vocation artistique de Fassbinder est d’abord et avant tout cinématographique. Il ne s’intéresse au théâtre que parce qu’il y voit la possibilité d’y réaliser une certaine forme d’utopie collective.
Il avoue par la suite sa forte désillusion. À la différence de Fassbinder, je ne fais pas de théâtre pour réaliser une certaine forme de la vie commune, la vie commune est pour moi la dynamique nécessaire à la création théâtrale et non pas un but à atteindre. Je suis heureux parce que je suis vivant, je ne vis pas pour devenir heureux.
Pourquoi avoir choisi ces quatre pièces dans toute l’œuvre théâtrale de Fassbinder ? Aviez-vous une envie toute particulière de les regrouper dans un même projet depuis longtemps ?
Mon intention est de monter à moyen terme toutes les pièces de Fassbinder. Aujourd’hui je me suis arrêté à ces quatre, parce qu'il y a entre ces quatre titres une certaine symétrie : ils désignent tous des lieux. Si j’ai voulu les monter simultanément, c'est pour nous mettre, moi et mon équipe, en situation d’urgence, de surexcitation.
Trouvez-vous une complémentarité entre ces quatre pièces qui abordent le politique aussi bien du côté de la sphère privée que de la sphère publique ? Choisir de les regrouper dans un même projet peut-il ébranler la frontière artificiellement entretenue entre ces deux sphères par une vision volontairement restreinte du politique ?
Je ne crois pas à cette dichotomie public-privé. C’est une invention bourgeoise qui vise à limiter le domaine des responsabilités. Toute forme de relation à l’autre ouvre le champ de l’invention politique. L’espace intime n’est pas un espace privé réservé, c’est une échelle donnée de la relation à l’autre. Le Paris haussmannien est d’abord un plan des égouts. C'est une cartographie des chemins intestinaux de la défécation et une tentative de les prolonger dans le dessin de la cité. Notre manière de chier est politique. Notre sexualité, notre spiritualité sont intimes et politiques. Fassbinder raconte des histoires simples dénonçant le « comique » de la séparation public-privé. Toutes nos tragédies sont des conséquences de cette séparation.
Dans ces pièces, plus particulièrement dans Liberté à Brême et Le Village en flammes, il règne une violence ambiguë où la victime jouit, par exemple, de son châtiment par le fouet. On sent chez l'auteur une attention toute particulière à ces scènes sadomasochistes. Quelle importance leurs accordez-vous et comment allez-vous les traiter sur le plateau ?
D’une manière générale, le spectacle de la violence est un spectacle du non-sens. La violence matérialise un point ou rien n’est plus pensable. La violence nous inflige la nécessité de reconstruire du sens. Le théâtre se tient à ce point d’équilibre entre la violence et la parole que j’appelle l’humanité. Chez Fassbinder, la question du viol est une question, sinon centrale, du moins récurrente. Comment l’acte sexuel est-il destructeur dans le cas d’un viol et constructeur dans le cas d’une relation consentie ? C’est sur ce point d’ambivalence que se décide notre action sur le monde.
Dans Le Village en flammes, il y a de grands tableaux, comme le massacre du commandeur ou le châtiment des villageois. Comment allez-vous représenter ces grandes scènes de groupe sur le plateau ?
Nous les représentons par la parole, nous les décrivons. Il y a un niveau de violence que l’image ne parvient plus à mettre à distance et l’image elle-même participe du non-sens, devient complaisante. En dernier recours, il ne reste que l’imagination du spectateur. La même imagination que celle qui engage un lecteur de Sade par exemple.
Anarchie en Bavière est la pièce la plus évidemment politique. Même si l'action se situe dans l'Allemagne de l'après-guerre, la critique de la société qui est exposée conserve-t-elle toute sa pertinence aujourd'hui ?
Anarchie en Bavière confronte simplement un certain folklore révolutionnaire avec un certain folklore bavarois, une certaine communauté familiale avec une certaine communauté anarchiste. À la fin de l’histoire, un homme viole et tue un enfant. Oui, la pièce garde toute sa pertinence aujourd’hui.
Gouttes dans l'océan et Liberté à Brême, ces deux pièces trouvent-elles une nouvelle clairvoyance en plein débat sur le mariage pour tous ?
Les deux pièces traitent en effet de la question du couple mais votre question dénonce une certaine idéologie qui associe toujours la notion de couple à la notion de mariage.
Je ne fais pas d’amalgame entre la notion de couple et la notion de mariage. Le mariage est pour moi un contrat folklorique qui a malheureusement encore trop de résonance dans le corps social. J’avais cru comprendre, avec l’évolution des mœurs dans notre société, que la notion de mariage-même était devenue obsolète.
Le mariage pour moi n’a aucune valeur. Je trouve que ceux qui luttent dans un sens ou dans l’autre ne font que perdre leur temps. Ce débat ne m’intéresse pas.
Je regrette que le contrat de mariage ait encore une forte représentation sociale. Pour moi, je propose tout simplement
l’abrogation du mariage pour tous.
Texte Rainer Werner Fassbinder. Mise en scène Gwenaël Morin. Assistante à la mise en scène Elsa Rooke.
Coproduction Théâtre du Point du Jour/Compagnie Gwenaël Morin. Coréalisation Théâtre de la Bastille, Festival d’Automne à Paris. Avec le soutien du DIÈSE # Rhône-Alpes. Le Théâtre du Point du Jour est conventionné par le Ministère de la Culture / DRAC Rhône-Alpes, la Région Rhône-Alpes et la Ville de Lyon. Avec le soutien de l’Adami.
L'Arche est éditeur et agent théâtral des textes représentés.