théâtre

de la bastille

Théâtre de la Bastille

main

Au milieu du désordre.


01 avr > 17 mai

Après le spectacle à 21h les : mercredi 30 avril : Conférence la chute. lundi 5 mai : onze courts métrages. mardi 6 mai à 21h : Conférence L'espace s'envole.

1er avril au 17 mai à 19 h30, dimanche à 15 h 30,
relâche les 6, 7, 13, 14, 20, 21 et 27 avril et les 1er, 2, 3, 4, 8, 9, 10, 11 et 12 mai

- le mercredi 30 avril, à l'issue de la représentation, une rencontre
sera organisée autour du thème de la chute. Avec la participation
de Pierre Meunier, de Pierre Etaix (homme de cirque et réalisateur
de cinéma) et de Dominique Bénard (mathématicien et historien
des sciences), deux spécialistes éclairés qui chacun, à leur manière,
savent ce que tomber veut dire !

- le lundi 5 mai à 21 h, présentation de Et ça continue !,
une série de onze courts métrages réalisés par Pierre Meunier :
Le travelling le plus long de l'Histoire du Cinéma
Ça forge !
Moteur, film d'action !
Ça pousse !
Ça tisse !
Ça lamine !
Ça danse !
Ça monte !
Chambord
Ça rend !
Héraclite

Mardi 6 mai à 21h L'espace s'envole
Pierre Meunier, a invité l'Observatoire de l'Espace du CNES (Centre National d'Etudes Spatiales) pour un programme de 45 minutes intitulé
L'espace s'envole.

Durant cette deuxième partie de la soirée, l'écrivain Gérard Mordillat, lira Le vol de la tortue, un texte qu'il a écrit spécialement pour l'Observatoire de l'Espace. Un programme d'archives audiovisuelles, autour des lâchers de ballons stratosphériques, nous fera découvrir que l'espace n'est jamais si loin. La parole sera ensuite laissée à l'expert du spatial, Michel Viso, pour évoquer les turpitudes de la micropesanteur. Enfin, un second programme audiovisuel sur les différentes chutes depuis l'espace, commenté en direct par Pierre Meunier, nous ramènera sur Terre pour conclure cette soirée.


Au milieu du désordre

Conférence démonstration sur le tas, la spire, la chute et l'air
de et par Pierre Meunier

Attention, chute de pierres ! On ne sait pas ce qu'on risque à rêver trop longtemps devant un tas de cailloux. Le monde peut s'en trouver considérablement transformé jusqu'à perte totale des points de repère. Pierre Meunier en a fait l'expérience. S'attarder sur le tas. Rêver devant un tas de cailloux... Faire la grève. La grève sur le tas, cet expert en tas et autres tumulus, grand spécialiste du chant du ressort, homme de théâtre aussi et poète du plateau connaît. De lui, on avait déjà pu voir au Théâtre de la Bastille Le Tas et la saison passée, Les Egarés. Cette fois, c'est seul sur scène qu'il s'interroge, rêve, médite, dérive, s'abîme en s'appuyant sur quelque amas de cailloux ou une poignée de vieux ressorts vaguement rouillés. Pierre Meunier a cette capacité attachante qui consiste à voir ou à entendre ce que l'on ignore d'habitude parce que c'est là devant nous, qu'on passe devant tous les jours et que nous avons depuis longtemps cessé d'y prêter attention. Terrains vagues battus par le vent, tas, bouts de ferrailles abandonnés, autant de scories qui ne méritent guère qu'on s'y attarde. Et pourtant, si l'on y songe et que l'on s'arrête un peu sur ces marges délaissées de nos paysages et que l'on entreprend de contempler ces objets, au fond pas si inanimés, quelque chose bientôt naît et grandit, la réalité qui nous entoure change doucement d'apparence et se révèle sous un nouveau jour. Alors, c'est comme si l'on faisait une grève du zapping pour s'offrir une interruption bienvenue face à l'overdose d'images préformatées dont nous sommes quotidiennement bombardés. « Le théâtre est une occasion inespérée de résister au broyage des entendements », avance Pierre Meunier.
Et cela est loin d'être anecdotique, cette affaire. D'ailleurs, le grand poète italien Eugenio Montale remarquait déjà, il y a quelques années, que : « L'homme d'aujourd'hui a hérité d'un système nerveux qui ne peut supporter les conditions de vie actuelles. En attendant la naissance de l'homme de demain, l'homme d'aujourd'hui réagit à ces nouvelles conditions non pas en les affrontant ou en essayant de résister à leurs coups, mais en se transformant en masse ». A cette pesanteur envahissante qui s'est emparée de nos sociétés, Pierre Meunier répond par un éloge de la légèreté. Quoi de plus ordinaire, de plus banal qu'un tas ou qu'un ressort ? Certes. Et pourtant, si l'on s'attarde un peu, cela devient une mine pour l'imagination. « J'essaie d'allumer des mèches ; d'ouvrir quelques pistes », résume modestement Pierre Meunier pour qui il est vital que tout cela se passe devant un public et pas uniquement dans la solitude du promeneur.
Mais que se passe-t-il justement devant le public ? Tandis que circulent des pierres passées de main en main parmi les spectateurs, un tas bientôt s'élève quelque part au-dessus du sol. Un tas en lévitation ? N'exagérons pas. Mais quand même il y a de ça. Formant comme une pyramide la pointe tendue vers le ciel, c'est un amas de cailloux sans forme que l'on dirait flottant, à cela près que les agrégats qui le composent reposent sur une vieille table de camping dépliée pour l'occasion. La légèreté du tas est peut-être son secret. D'ailleurs c'est bien ce que Pierre Meunier entend nous faire partager dans cette curieuse aventure, le secret du tas, voire comme il dit « le secret des tas ». Alors il agit en maître de cérémonie, chaman, magnétiseur, bonimenteur ou savant fou prêt à nous initier aux mystères du tas, c'est-à-dire de la chute. Il nous entraîne à sa suite dans une plongée vertigineuse, la chute dans le temps. C'est comme un saut au-delà de nos habitudes de pensées pour rêver sur l'insoutenable légèreté de l'être. Et le paradoxe, c'est que cela procure une sensation de libération. « Cela me réjouit infiniment, cette bouffée de réconfort qui nous est amenée par ce qui est le plus déconsidéré, le plus opposé aux mirages fabriqués par les puissances économiques de tout poil. C'est une forme de contre-pouvoir salutaire en même temps qu'un agent réconfortant sur le plan intime. »

Notre regard glisse sur la surface des choses, capté en permanence par des sollicitations multiples. L'ordinaire est ce qui nous échappe parce que nous sommes aliénés ; empêtrés dans toutes sortes de considérations qui nous empêchent de voir et de comprendre notre situation. Nous sommes pris dans un mouvement qui nous étourdit et nous occupe tellement qu'en dehors de ça, plus rien n'a d'intérêt. Or c'est justement là qu'intervient le langage, pas n'importe quel langage, mais ces mots qui naissent d'une réflexion attentive devant un objet quel qu'il soit, même le plus opaque comme ce tas de cailloux. Car c'est en comprenant comment un objet a cette capacité de nous impressionner, de nous solliciter, que des mots surgissent à travers une méditation féconde. « L'attention est la prière naturelle de l'âme », disait Malebranche.

C'est bien cette attention aux plus anodins � en apparence �objets matériels qui nous met en contact avec le monde et qui nous permet en même temps de prendre nos distances. Pierre Meunier nous rappelle opportunément que la réceptivité est une vertu non négligeable. Il ne faut pas avoir peur de s'abandonner, d'oublier ses points de repère. Et qu'un caillou, un tas, un ressort sont une source inépuisable de métaphores souvent drôles, d'ailleurs : « C'est une forme de réflexion poétique qui active tous les niveaux de sens : politique, social, métaphysique... Mais sans être enfermé dans des cases ; au contraire tout résonne et les ordres habituels sont bousculés. Je suis toujours étonné de voir comment des strates sont traversées ou connectées les unes aux autres de manière indomptable, sauvage. Cela agit de façon cavalière sans égard pour les panneaux fléchés. Et c'est quelque chose qui a à voir aussi avec la chute, comme si l'on expérimentait une temporalité où l'on ne peut plus compter sur rien. Il n'y a plus d'appui, plus de fermeté. On n'a donc plus qu'à être, ce qui peut s'avérer une grande chance, sauf que bien souvent on est crispé sur la perte de ce qui nous échappe et que l'on gagne en vérité à ne plus avoir. On ne s'appartient plus, on est agi par quelque chose qui nous dépasse, la loi qui s'exerce sur nous. Il y a peut-être dans la rêverie une autre loi, qui est nôtre ; une loi intime, profonde que tant de dispositifs visent à étouffer. » Ainsi, c'est du coeur même de la passivité, de l'abandon au mouvement de la méditation que l'on se rejoint soi-même. En quoi Pierre Meunier voit : « Un chemin vers une forme d'indépendance. Et c'est justement cette indépendance qui inquiète toutes les puissances qui visent à nous faire consommer, à nous assoiffer de biens, de possessions. »

Pierre Meunier ne dispense pas un savoir, il jongle autant avec les mots qu'avec les objets qu'il manipule. Il nous tient en haleine dans une veine comique qui donne parfois l'impression de marcher sur la tête. C'est que tout est bel et bien sens dessus dessous dans ce spectacle, d'où ces remarques qui fusent suivant une logique folle et désarmante qui provoque l'hilarité. Mais l'homme qui se tient là devant nous avec son air légèrement illuminé et plein de son savoir dit quand même des choses tout à fait sensées. « Je suis chargé comme une pile de tout mon parcours, explique-t-il. J'ai constamment l'impression que la plupart de mes réflexions proviennent du tas. Dès que je m'y mets, tout me revient de façon amplifiée et de plus en plus complexe. Mais tout cela se passe dans le présent ; cela me traverse sur le moment et j'en rends compte comme je peux. Car il est essentiel que tout cela se déroule dans le présent d'une relation en prise avec le public. »
Au fond, c'est comme une tension permanente entre pesanteur et légèreté qu'explore à loisir Pierre Meunier avec un sens du swing digne d'un jazzman. Le swing n'étant rien d'autre que cette mystérieuse conjonction de la tension et de la détente. « Il est très important pour moi qu'il y ait toujours de la légèreté dans le spectacle, sinon tout ça deviendrait vite indigeste », indique Pierre Meunier. A cet égard on peut lui faire confiance, car ce n'est pas pour rien qu'il fit jadis ses armes de clown auprès des Fratellini et qu'il eût notamment pour professeur Pierre Etaix. Déjà, du temps où il se promenait sur les routes avec la compagnie Dromesko, Pierre Meunier se faisait remarquer pour ses entreprises aussi infructueuses que désopilantes de rivaliser avec les oiseaux sous le nom de Leopold von Fliegenstein. Depuis, il n'a toujours pas appris à voler, mais n'a cessé de s'interroger sur la pesanteur et son contraire. Le tas de cailloux et le ressort étant en quelque sorte devenus ses emblèmes autant que des objets dont il scrute inlassablement l'énigme. N'hésitant pas d'ailleurs à interroger des scientifiques et à compulser des ouvrages savants pour étayer sa réflexion. Avec les années, il est à sa manière devenu un spécialiste en attraction, répulsion, oscillation et autres tensions entre le haut et le bas, le pesant et le léger. « Ce qui m'intéresse dans le ressort, c'est cette réconciliation entre les contraires sous la forme d'une dialectique dansante qui les honore, mais de manière fluide et non antagoniste. Car le mouvement qui les oppose, hésitant de l'un à l'autre, finit peu à peu par s'épuiser pour les confondre en un lieu de retrouvailles qui est aussi celui de l'immobilité. Léonard de Vinci parle à ce propos « d' armistice entre le grave et le léger » sauf que si, en effet, le ressort trouve cette armistice, il faut préciser qu'il ne s'y arrête pas. »
Voilà comment, en assistant aux méditations et lévitations de Pierre Meunier, on redécouvre le plaisir qu'il y a à sentir comment le temps se dilate et à quel point l'esprit gagne à vagabonder. D'ailleurs, comme il l'explique, ce sont les scientifiques eux-mêmes qui le disent : « Il existe des niches de liberté au coeur même du tas et ce jusque dans les couches inférieures où l'écrasement est maximum. Cela est dû au fait que les chaînes de contact suivent des chemins très sinueux qui par moments épargnent des zones. Il existe ainsi aux endroits les plus improbables des poches de résistance. » C.Q.F.D.
H.L.T