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de la bastille

Théâtre de la Bastille

main

Elisavieta Bam.


05 mar > 25 mar

Une recherche familière au théâtre d'Alexis Forestier dont le parcours de Dada à Gertrude Stein devait forcément rencontrer un jour l'écriture de Danill Harms.

Elizaviéta Bam

Texte Daniil Harms. Texte traduit par Jean-Philippe Jaccard. Mis en scène et en musique par Alexis Forestier.

Avec Marc Bertin, Patrick Blauwart, Masto Heur, Cécile Saint-Paul (distribution en cours).

Son Philippe Moja. Films Cécile St Paul. Scénographie Alexis Forestier. Complicité mécanique et scénographique Matthieu Bony. Lumière Denis Gobin. Plateau Julien Barbazin.

Marqué par le dadaïsme, grand lecteur de Kafka ou de Michaux dont il a même monté des textes au théâtre, Alexis Forestier pouvait difficilement passer à côté d'un poète aussi important que Daniil Harms. L'auteur d'Elizaviéta Bam est relativement peu connu en France et il est plutôt rare que ses �uvres soient mises en scène dans notre pays. C'est dommage car cet écrivain russe (1905-1942), qui participa notamment à la création de l'OBERIOU � Association pour un Art Réel � mouvement littéraire de gauche peu apprécié des autorités soviétiques, mérite largement d'être découvert.
Sans aucun doute, Daniil Harms paie-t-il là le prix de la clandestinité. On ne choisit pas son époque. Comme de nombreux artistes de sa génération, Harms a dû, en effet, subir les purges staliniennes. Cet héritier des avant-gardes du début du siècle fut ainsi réduit au silence alors qu'il n'avait encore pratiquement rien publié. Ses textes circuleront malgré tout sous forme de samizdat. �Cela fait quelques années que je m'intéresse à Daniil Harms, raconte Alexis Forestier. J'ai un peu tourné autour avant de m'aventurer dans son oeuvre. Et à force de le pratiquer, les choses ont commencé à m'apparaître dans leur cohérence. Ce qui me passionne chez lui, c'est la façon dont il envisage le théâtre. Il y a comme une intuition de cet instant de la représentation qui s'oppose à tout présupposé d'ordre dramaturgique. Harms désigne cela à travers la notion de �sujet scénique� qu'il a développée avec ses amis de l'OBERIOU.�

Rompre l'assujetissement du théâtre au texte
Bien, mais que signifie donc cette notion si importante de �sujet scénique� ? Selon Harms, il s'agissait, entre autres, non seulement de tourner le dos au naturalisme, mais aussi de défendre une primauté du théâtre pur, autrement dit de l'espace théâtral. Rappelons qu'au même moment à peu près, soit en 1932, Antonin Artaud n'affirmait pas autre chose en écrivant dans son Théâtre de la cruauté qu'�il importe avant tout de rompre l'assujettissement du théâtre au texte�. Ici, Alexis Forestier se sent en compagnie familière, lui qui défend depuis longtemps une approche singulière du théâtre où le texte représente un élément parmi d'autres. �Il y a chez Daniil Harms un refus de subordonner le personnage ou l'événement à une logique narrative. On rejoint en quelque sorte le monde sans objet de Malevitch, dont les membres de l'OBERIOU se sentaient proches�, explique-t-il.

La menace et la résistance à la menace
Difficile de résumer une pièce comme Elizaviéta Bam. Tout commence avec l'intervention de deux hommes qui frappent à la porte ; ils viennent arrêter Elizaviéta Bam. �Dès l'instant où ils pénètrent dans son espace privé s'ouvre un paysage fantasmatique totalement débridé�, analyse Alexis Forestier. La situation, qui renvoie bien sûr au contexte politique de l'époque, a en même temps quelque chose de profondément irréel. �On part d'une situation concrète, l'arrestation de cette femme, mais très vite tout se passe comme si l'individu échappait déjà à cette situation. Comme si Elizaviéta était irréductible à la situation qui la contient. Le personnage devient en quelque sorte la surface projective d'un régime paranoïaque. Susceptibles, vulnérables, les deux individus venus opérer l'arrestation ne parviennent pas à formuler un motif plausible d'inculpation. En même temps, l'écriture fait apparaître des niveaux de réalité très différents. Il y a chez Harms une croyance profonde dans l'invention d'une langue neuve, mobile, capable de s'opposer à la réalité, mais aussi la conscience de l'étouffement programmé. Ainsi, la pièce énonce dans un même mouvement la menace et la résistance à la menace.�

L'espace théâtral envisagé dans sa dimension poétique
Comment alors aborder une telle oeuvre qui semble ainsi tirer à hue et à dia ? C'est justement là qu'Alexis Forestier déploie tous ses moyens. Depuis toujours, il aime les auteurs qui remettent en question l'évidence, le sens commun, tels, notamment, Francis Ponge, Maurice Blanchot, Gertrude Stein ou Georg Büchner... Avec lui, l'espace théâtral est avant tout envisagé dans sa dimension poétique comme terrain ouvert à la création, à l'expérience. Mais cette expérience du théâtre passe aussi chez Alexis Forestier par la musique. �Pour cette nouvelle mise en scène, avant de travailler sur le texte, les comédiens se sont d'abord appropriés un matériau musical. L'enjeu était de déplacer le rapport habituel de l'approche du texte. Je ne voulais pas reproduire un schéma, mais au contraire me mettre en quête d'un tracé excentrique. La pièce s'attaque à la rationalité du langage dont l'OBERIOU considère qu'il est inapte à représenter le réel dans sa complexité. Cela passe naturellement par la perte du sens, bien que l'intrigue du récit ne cesse d'affleurer à l'arrière-plan de cette déconstruction.�
Précisons que, parmi les comédiens, certains n'ont encore jamais pratiqué d'instruments de musique. Ils prennent ici en charge avec les musiciens eux mêmes une partition composée pour la pièce où alternent des registres de nature très différente, mêlant motifs rythmiques et mélodiques à l'expérimentation sonore et à l'improvisation.
�C'est au fil des spectacles, notamment depuis Woyzeck, puis avec le Faust de Gertrude Stein que la musique est devenue une composante essentielle, qui à la fois structure l'espace scénique et construit le temps de la représentation. Depuis, il y a eu Sunday Clothes et Inferno Party, deux spectacles construits à partir d'une mémoire et de motifs musicaux issus de ces précédentes recherches.�
Pour la mise en scène d'Elizaviéta Bam, il s'agit de revenir au texte en imaginant que le matériel musical puisse maintenant prendre place dans l'espace au point d'être joué par les interprètes de la pièce. La musique devient un support essentiel pour la construction du jeu. �Nous sommes à la recherche d'une théâtralité où le texte et l'écriture sonore sont étroitement, intimement articulés l'un à l'autre.�