théâtre

de la bastille

Théâtre de la Bastille

main

Basso Ostinato.


14 dec > 22 dec

Est-ce la danse qui est difficile à digérer ? Est-ce que c'est cette difficulté qui nous fait danser?

Basso Ostinato

Chorégraphie de Caterina Sagna.

Interprètes Alessandro Bernardeschi, Antonio Montanile, Mauro Paccagnella

Dramaturgie Roberto Fratini Serafide. Conseiller musical Luca Berni. Lumière Philippe Gladieux.

Production/administration Dominique Mahé. Production Association Next/Compagnie Caterina Sagna. Coproduction Théâtre de la Bastille, Théâtre de l'Agora-Scène nationale d'Evry et de l'Essonne dans le cadre des résidences de création soutenues par la Région Ile-de-France, Théâtre national de Bretagne-Centre européen de production théâtrale et chorégraphique/rennes, Pôle Sud/Strasbourg-scène conventionnée danse.

En mêlant à la danse un théâtre nourri d'une ironie grinçante et amusée, la chorégraphe italienne Caterina Sagna a su percer une voie originale qui aujourd'hui la distingue de ses pairs. Depuis Lenz en 1990, la longue série de spectacles présentée au Théâtre de la Bastille, Quaderni in Ottavo, Isoï, Cassandra, La Testimone, La Signora, Esercizi Spirituali et Sorelline, permet de suivre presque dès le début les principales étapes d'un travail chorégraphique exigeant. Très rapidement, en effet, à la suite de deux pièces réalisées avec des danseurs de la compagnie de Carolyn Carlson, avec laquelle elle danse pendant sept ans, Caterina Sagna a la possibilité de présenter son travail en France. Elle s'engage alors dans un cycle qui durera dix années, de pièces puisant toutes leurs inspirations dans les livres. Comme un cinéaste pourrait adapter librement un roman à l'écran, la chorégraphe s'empare d'ouvrages littéraires pour en livrer une version scénique personnelle et sans parole (certains avec des textes enregistrés, dits ou chantés). �C'était dire avec son corps ce que les mots avaient réussi à dire dans les livres. Oui, surtout j'avais besoin d'avoir un appui extérieur qui me donnait de la force. J'avais envie de traduire sur scène l'émotion ressentie par des livres qui m'avaient beaucoup touchée, explique-t-elle aujourd'hui. Je proposais aux danseurs des thèmes d'improvisation ou de composition qui me donneraient la même émotion que celle que j'avais ressentie à la lecture. Je travaillais à partir de mes émotions, ce n'était pas un travail commun sur le texte. Ils pouvaient lire le livre s'ils le voulaient, mais ce n'était ni obligatoire, ni même utile, car leurs propositions étaient plus surprenantes quand ils ne savaient pas ce que je cherchais exactement�. Ainsi les sources d'inspirations sont successivement Les Bonnes de Jean Genet pour la pièce Lemercier en 1988, qui peut être considérée comme sa première pièce importante, La Voix humaine de Jean Cocteau, Lenz de Georg Büchner, le Journal intime de Franz Kafka, ou encore Les Elégies de Duino de Rainer Maria Rilke, ou les Ecrits de Paul Valéry. �Jusqu'en 1999, commente Caterina Sagna, ma caractéristique principale reposait sur ma grande difficulté à me sortir de mon sérieux, donc mes pièces reflétaient plutôt des sentiments de tristesse, d'angoisse, de rapport de force ou des difficultés de communication�. Deux pièces concluent en 1999 cette première phase, le solo Esercizi Spirituali, interprété par la chorégraphe, et un duo avec sa soeur Carlotta Sagna, La Testimone. Une seconde période, qui nous rapproche de l'esprit du travail actuel, commence alors avec la pièce La Signora en 2000 et fait apparaître un visage inédit de la chorégraphe. �Je savais depuis quelques années déjà que la possibilité de changement était dans l'ironie, c'est un aspect de ma personnalité que je n'arrivais pas à mettre sur scène, comme une honte et je n'imaginais pas rire et faire rire. Donc dans cette pièce, j'étais sur scène, la Madame, avec des soi-disant serveurs qui étaient des interprètes qui m'ont aidée à jeter des bêtises sur scène pour sortir de ce trou. J'ai donc levé les yeux, chose que je n'avais pratiquement jamais faite, parce qu'avant les spectacles étaient dans une énergie très intimiste, très intériorisée. Donc j'ai levé les yeux, j'ai commencé à sourire et à faire des �conneries� évidemment entre guillemets, et voilà j'ai commencé et c'est très salutaire�.
Désinvolte sans être frivole, Caterina Sagna s'appuie sur la familiarité qu'elle entretient avec la danse - aussi bien dans sa pratique physique que dans son économie, dans sa théorie que dans sa réception � pour mieux la disséquer et inventer des alchimies déroutantes entre l'humour et l'introspection, l'hypocrisie et la sincérité. La danse, il faut dire, pour Caterina Sagna, c'est une histoire de famille. �J'ai commencé très tôt, explique t-elle, à quatre ans, à l'école de danse de ma mère à Turin�. Fille de Anna Sagna, professeur et chorégraphe majeure en Italie, elle est aussi la soeur de Carlotta Sagna, également interprète et chorégraphe réputée. Peut-être les reprises de rôles multiples dans les spectacles de sa mère et les nombreuses collaborations avec sa soeur ont-elles favorisé ce rapport �domestique�, plutôt que professionnel, avec la pratique et la réflexion sur la danse ? Cette filiation et cette parenté sont en tout cas suffisamment rares, peut être uniques dans l'histoire de la danse occidentale, pour les souligner et y déceler des influences éventuelles dans la manière, à la fois savante et routinière, que Caterina Sagna possède pour aborder cet art aujourd'hui. Si la relation peut paraître conflictuelle, par l'évocation notamment dans ses deux derniers spectacles, Relation publique et Heil Tanz !, des rapports de domination, d'oppression, de lâcheté au sein d'un groupe de danseurs, Caterina Sagna entend avant tout réactiver le regard sur la danse et élargir son champ de réflexion. Ainsi, entendre la phrase dans le spectacle Heil Tanz ! : �Si on casse un bassin à coup de pieds, on peut comprendre un grand écart�, de surcroît prononcée par Dominique Mercy, danseur oh combien emblématique de la compagnie de Pina Bausch, agit comme une torsion mentale qui entraîne le spectateur à repenser la danse autrement.
Avec Basso Ostinato, création pour trois danseurs masculins, la chorégraphe semble réunir ses deux précédentes recherches. Si l'ironie persiste, par le croquis d'une situation triviale et quotidienne, les cris disparaissent et l'adresse directe au public s'efface pour laisser la place à des agressions plus sourdes et plus corrosives. Le titre est emprunté à un terme musical. A l'instar de la �basse continue�, qui est une note présente tout au long d'une composition, la �basse contrainte�, ou �basse obstinée� est une variation de plusieurs notes qui revient au fil de l'oeuvre, en sous-main. �D'un point de vue poétique, explique Caterina Sagna, la �basse contrainte� révèle mon intérêt, mon attachement particulier aux formes élémentaires, une volonté presque pathologique de rechercher avec obstination les aspects bas, résiduels, quotidiens du monde�. La scène s'ouvre sur deux danseurs attablés, ils discutent de danse et boivent des digestifs. �C'est un dialogue comme on peut en imaginer à trois heures de l'après-midi après un repas très copieux, de vieux copains qui papotent�. Cette scène constitue la matrice, la �basse contrainte�, la ritournelle faite de mots et de gestes qui prennent appui notamment sur le lent et physique travail de digestion des corps en présence. Partir d'une situation, que l'on pourrait qualifier de cocasse, pour développer une multitude de questions en entremêlant les mots aux gestes, tel est le projet de cette pièce. �Est-ce que c'est la danse qui est difficile à digérer ? interroge la chorégraphe. Est-ce que c'est cette difficulté de digestion qui nous fait danser ?� Plutôt que sujet dansant, Caterina Sagna expose ici un corps-objet habité par la vie qui passe dans ses veines, dans son ventre, dans sa tête. Et elle précise : �Le tout est de savoir si ce corps, si le bas régime de la sudation, de la suppuration, de la putréfaction ou de la distraction, le bas régime de l'erreur commune qui, en tissant la vie, nous mène à la mort, le tout est de savoir si cette erreur, si cette vie, si cette mort sont encore la Danse�, dixit Roberto Fratini Serafide (le dramaturge avec qui Caterina Sagna travaille).

Production Caterina Sagna/Association Next. Coproduction Pôle Sud/Strasbourg, Théâtre de la Bastille, Théâtre de l'Agora/Scène nationale d'Evry et de l'Esssonne dans le cadre des résidences de création soutenues par la Région Ile-de-France (coproduction en cours).