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de la bastille

Théâtre de la Bastille

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12 Easy Waltzes.


08 mai > 17 mai

Ça tourne, ça tourne, ça tourne. Lentement en marchant, vite en courant, à petits pas, à grande enjambée, enlacé ou seul, parfois avec les pieds, parfois avec les yeux...

Michèle Anne De Mey //Compagnie Charleroi/Danses

12 Easy Waltzes

Conception Michèle Anne De Mey, Grégory Grosjean, Agnès Quackels, Stéphane Olivier et Eric Faes

Duo dansé par Michèle Anne De Mey et Grégory Grosjean.

Costumes : Frédéric Denis et Lorraine Frennet. Lumière Simon Siegmann.

La chanson Total Eclipse of the Heart de Bonnie Tyler résonne dans le théâtre vide. Elle dit �turn around�. Le plateau est presque nu à l'exception d'un cercle rouge tracé au sol en pointillé et d'un banc d'écolier posé à sa droite. Un homme puis une femme entrent, ils vont s'asseoir sur le banc,
les yeux perdus dans le vague, étrangers l'un à l'autre, ils attendent la fin de la chanson. Quand la chanson est finie, l'homme puis la femme se lèvent lentement. �Un oranger sur le sol irlandais on ne le verra jamais... un jour de neige embaumé de lilas jamais on ne le verra ...� entonne Bourvil. Le couple se fait face, semble joindre les mains en positionnant
les bras en croix mais ne se touche pas. Chacun alors, en un geste minutieusement ralenti, se retourne et s'en va tourner, sans excès, de son côté, les bras grands ouverts. Comme ils tournent sur le même tracé, le cercle marqué sur la scène, et
au même rythme, logiquement ils se rencontrent à intervalle régulier. A chaque rencontre, ils tournent ensemble et sur eux-mêmes, parfois de face, parfois de dos, mais toujours sans se toucher. Ils sont très calmes. Alors que la chanson s'achève, ils se retrouvent dans la position initiale du face à face, semblables à deux aimants dont les forces identiques semblent empêcher toute possibilité de contact. La femme reste en piste, l'homme est retourné s'asseoir seul sur le banc et il la regarde.
�Au premier temps de la valse toute seule tu souris déjà, au premier temps de la valse je suis seul mais je t'aperçois�. Les paroles de Jacques Brel démarrent dans une version peu connue des King's Singers. On regarde la femme, elle accomplit un mouvement qu'elle répète à la fois en boucle et en cercle. Détendue, elle poursuit sans relâche les mêmes gestes : elle effectue, à chaque deuxième temps, un tour complet sur elle-même : un pas, deux pas, tour, et ainsi de suite jusqu'à la fin de la chanson.
Michèle Anne De Mey est la danseuse. Chorégraphe de renom, artiste majeure de la scène chorégraphique internationale depuis plus de vingt ans, elle a décidé de retourner sur scène avec le souci de ne pas �se pavaner�, de ne pas montrer toute l'amplitude de son talent réel d'interprète, de ne pas céder, peut-être, à la pression, dans ce cas plus symbolique que commerciale, du �star-system�. Grégory Grosjean est son partenaire, fidèle danseur et assistant de la compagnie depuis plusieurs années. Avec cette dernière création intitulée 12 Easy Waltzes, la chorégraphe opère ainsi un retour à la scène qui révèle, sous l'apparente simplicité annoncée par son titre, le désir et le plaisir de la recherche dans le mouvement. Si le titre résonne en effet comme un recueil de mélodies pour débutants, sorte de manuel à danser à l'usage de tous, ces douze valses �faciles� sont à l'inverse le fruit d'un projet articulé autour d'un cadre précis et exigeant.
De chanson en chanson, douze au total, le spectateur assiste, avec un plaisir qui gagne en intensité, au spectacle d'une danse qui défie les possibilités expressives d'un espace restreint. Les règles sont strictes. Pas question de faire un pas de côté en dehors du cercle.
La musique, fruit d'une sélection parmi plus de dix mille titres, répond au critère impérieux du trois temps. De Bourvil au Velvet Underground, de Simon & Garfunkel à Christophe en passant par le chanteur populaire belge Will Tura ou la chanteuse japonaise Noriko Tujiko, toutes ces chansons marquent le même tempo. �C'est comme une règle du jeu, poursuit Michèle Anne De Mey. A chaque fois, on prend la chanson du début jusqu'à la fin et il y a un développement qui se fait sur la musique. On a cherché un nombre de possibilités différentes avec le souci de les exploiter le plus possible mais sans faire de variations compliquées�. Dès le début il s'agit pour la chorégraphe de réaliser un spectacle dont le maître mot est Arte Povera, c'est-à-dire �dont l'élaboration ne repose que sur nous deux sans aucune autre base préliminairement rassurante�.
De réflexions en questionnements partagés par une équipe constituée d'une dramaturge, d'un metteur en scène et d'un musicien, le cadre du défi à réaliser se définit alors clairement. �La réponse au fait que je ne voulais pas danser, explique-t-elle, mais que j'étais quand même danseuse et que je ne refusais pas non plus de danser, avec des questionnements
sous-jacents comme par exemple où se situe le dansé, ont abouti au choix de la danse de salon, de la valse et par voie de conséquence au choix du cercle et du trois temps.�
Cependant, bien que le couple ait suivi les leçons d'un professeur averti de valse, le propos n'est pas ici d'en faire la démonstration mais plutôt de se réapproprier cette danse et d'en proposer d'autres variations possibles.
Le spectacle avance ainsi à pas feutrés et déploie, avec une précision d'horloger, une danse minimale qui nous plonge, bercés par le flot de musiques populaires, dans l'observation et la méditation du temps qui passe. Magnifique d'ailleurs au centre du spectacle, la composition chorégraphique qui réunit sur la chanson Scarborough Fair de Simon & Garfunkel
Michèle Anne De Mey et Grégory Grosjean en une image qui fait apparaître les aiguilles d'une montre. Alors qu'elle avance à son rythme, voilà que lui, simulant la trotteuse la rejoint et que, dans cette rencontre, les minutes enveloppent les secondes.
Le cercle, comme l'horloge, est ponctué de points qui marquent les douze heures et sont autant de repères pour les danseurs. La diffusion des chansons dans leur intégralité, associée à la répétition patiente des mouvements, accentue cette sensation
du temps qui s'égrène implacable, avec son lot d'attente et de solitude aussi. Plongé dans une attention sans cesse mise en alerte par les différentes propositions, le spectateur se régale devant ce jeu de pas. Tout en finesse et en sobriété, le spectacle fait naître tour à tour les images et les sensations du temps de l'homme. Celui de l'enfance qui resurgit lors d'une délicate danse de chaussures guidées par les mains des danseurs qui rappelle les jeux à quatre pattes avec les petites voitures. Celui de l'adolescence qui s'affiche par une course belle et lyrique dont l'inclinaison dans le mouvement du danseur évoque celle des jeunes adolescents zigzaguant en pleine nature. Épurées, ces douze valses �faciles� nous conduisent lentement vers une valse lente qui ose enfin rompre le cercle et embrasse de son mouvement les temps d'une vie riche d'histoires.