théâtre

de la bastille

Théâtre de la Bastille

main

La reconstitution historique.


04 mai > 12 mai

C'est l'évocation précise et infidèle de notre époque à partir de l'image que nous avons des Etats-Unis.

12 mai à 19 h
4,9, 10 et 11 mai à 19 h 30

La Reconstitution historique

Texte et mise en scène de Christophe Fiat // Avec Christophe Fiat, Rémy Héritier et Jean-Baptiste Bruant. Artiste sonore Jean-Baptiste Bruant. Chorégraphe et danseur Rémy Héritier. Vidéos Louise Armand

Prologue avec Christophe Fiat, Rémy Héritier et Jean-Baptiste Bruant. Tentative de récupération du site de Ground Zero à des fins politiques avec Christophe Fiat. French Touch avec Christophe Fiat et Rémy Héritier. 28 jours d'horreur avec Christophe Fiat, Rémy Héritier et Jean-Baptiste Bruant. L'Intégrale avec Christophe Fiat, Rémy Héritier et Jean-Baptiste Bruant

La reconstitution historique, performance en cinq parties distinctes, présentée au rythme d'une partie par soirée, créée au Théâtre de la Bastille, est un travail ambitieux pour lequel l'auteur évoque deux sources d'inspiration plutôt monumentales, La Tétralogie de Wagner pour la forme, et Bertolt Brecht pour la critique sociale. Son propos est de raconter l'histoire de la société française contemporaine à partir du 11 septembre 2001.

Retrouver une base imaginative commune
Christophe Fiat est écrivain et fait des performances. Il mène depuis six ans ces deux activités avec un équilibre déconcertant : dix livres et autant de performances. De Lady Diana Spencer à l'écroulement des Twin Towers, il étudie la société, ses icônes, ses produits culturels, ses fantasmes, ses chocs... Et cela par des détours érudits et captivants du côté de la société américaine et en particulier son cinéma : « Parce que je crois qu'aujourd'hui c'est un des seuls arts qui n'a pas peur de continuer à prendre en charge un certain imaginaire. Dans le cinéma, il y a un imaginaire collectif. C'est ce que je recherche de plus en plus en littérature et dans les performances : retrouver une base imaginative commune ». Documentée, savante et banale en même temps, fictionnelle, politique et poétique, la langue utilisée est menée à train d'enfer sous les effets persistants de la boucle, la répétition, la ritournelle... Une belle façon accrocheuse de créer la tension de l'écoute, le désir de mots. Cependant, bien qu'ayant largement utilisé ce motif, auquel il a même consacré un ouvrage, Ritournelle, une anti-théorie, Christophe Fiat est plus soucieux à présent de la construction du récit et délaisse désormais une forme stylistique qui pourrait l'en éloigner.
Performeur un peu sur le tard, Christophe Fiat commence par enseigner la philosophie en Franche-Comté, en lycée et à l'université. Étudiant et enseignant, il joue aussi dans des groupes de rock. C'est en l'an 2000, à l'âge de trente-deux ans, qu'il démissionne de l'éducation nationale et arrête le rock. Un an plus tard, son premier livre important, Ladies in the Dark, est publié chez Al Dante.
Christophe Fiat évoque son parcours avec une précision et une concision étonnantes, s'aidant d'un très léger bégaiement pour trouver le mot juste. C'est toujours par un mot qu'il ouvre ses performances, après vient le son, plus que de la musique, un son comme une marge d'indécision qui aide l'écoute des mots. Il « bégaie » avec sa guitare : une Aria pro 2 de 1970, « une imitation fender stratocaster, avec un authentique son de casserole », dont il a enlevé cinq des six cordes. Le ton, lui aussi monocorde, tend à accentuer l'attention non pas vers ce drôle de rockeur mais vers l'écoute du texte. « Le but de mes performances, c'est quand même qu'il ne reste de tout ça que la mémoire d'un texte ».

Le récit d'une épopée contemporaine
Le projet de La reconstitution historique semble reprendre de manière exponentielle les travaux précédents : il s'agit ici de construire, à plusieurs et sur une longue durée, le récit d'une épopée contemporaine. Sur scène, Christophe Fiat a « invité » Rémy Héritier, danseur, et Jean-Baptiste Bruant, musicien. La reconstitution historique s'étale dans le temps, il faut du temps pour reconstituer. Cinq soirées, d'une heure chacune, se suivent ainsi : Prologue, Tentative de récupération du site de Ground Zero à des fins politiques (une première version a été créée à La Fondation Cartier pour l'art contemporain en 2005), French Touch, 28 jours d'horreur et L'Intégrale du tout, reprise dans une forme condensée. Comme des figurines de plomb qui prennent leur place dans la bataille ? « Le danseur c'est quelqu'un qui a une présence que je n'ai pas », explique Christophe Fiat. « Ce qui me fascine, c'est qu'à un moment il puisse chuter, c'est ça la différence entre un performeur et un danseur, moi à aucun moment, j'ai un risque de chute. Il faut penser à ça tout le temps. J'ai un corps d'écrivain qui joue au musicien mais qui veut faire oublier qu'il est musicien pour qu'au bout du compte le spectateur ne retienne qu'un texte. Tandis que lui est habité, je suis campé. J'aime bien l'idée de camp, parce que la littérature ça enferme, c'est paranoïaque et pas la danse ».
« Quant à la musique, complète Christophe Fiat, elle aussi peut avoir des résonances politiques. Il me semble qu'elle est plus malléable, et plus métaphysique que la littérature. Plus malléable en ce sens que l'on peut faire plein de choses en écoutant de la musique...mais je ne sais pas comment on va rentrer dans le vif du sujet, en tout cas elle ne sera pas une illustration du texte, ni un accompagnement du danseur, peut-être de l'ambiant musique dans le sens de Brian Eno ».

Le mauvais conte que nous vivons...
Mettre en place un imaginaire. « Depuis le 11 septembre 2001, explique Christophe Fiat, ce qui m'intéresse c'est le discours qu'il y a en France autour des États-Unis. Je souhaite parler de la France en passant par la vision qu'on a des Américains. Ainsi, par exemple, l'image d'un Michael Moore en France. Qu'est-ce qui fait que ces dernières années, le seul héros américain qui fait l'unanimité de la classe intellectuelle française, ce soit un obèse, de surcroît populiste. » Une interrogation sur l'identité française qui reprend également à des fins politiques la transatlantique mythique d'Alexis de Tocqueville. D'une prison, l'autre, d'un enfermement à l'autre, rappelons que le penseur était parti enquêter sur les prisons américaines au XIXe siècle pour en tirer des enseignements pour la France. Christophe Fiat s'appuie également sur deux films de John Carpenter, Escape from New York et Escape from Los Angeles pour évoquer « le fait qu'aujourd'hui les peuples, français ou américains, sont pris en otages dans la nation mais aussi dans la religion ». Des otages qui semblent apeurés par le terrorisme d'un côté et par le tout sécuritaire de l'autre. Comment comprendre cette peur ? Sur quels événements se fonde-t-elle, sur quelles images, répétées en boucle, se fige-t-elle, sur quelles absence d'image se fantasme-t-elle, à travers quel héros se réfugie-t-elle ?
Ni vraiment philosophe, ni même moraliste, Christophe Fiat entend surtout créer, on le perçoit bien avec les mentions faites aux personnages héroïques et aux destins marquants, une performance d'éveil, qui compte avec une bonne dose d'humour, loin du cynisme et de l'idiotie, nous plonger dans ce mauvais conte que nous vivons...

Aude Lavigne