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de la bastille

Théâtre de la Bastille

main

Emmène-moi au bout du monde.


25 sept > 22 oct

...un joyau interlope et nocturne, très éloigné des productions chics, lisses et décoratives en vogue... Le Monde Fev 2006

Blaise Cendrars // Jean-Michel Rabeux.

Emmène-moi au bout du monde.

Adaptation des quatre premiers chapitres et mise en scène de Jean-Michel Rabeux

Avec Claude Degliame. Scénographie et costumes Pierre-André Weitz.
Lumière Jean-Claude Fonkenel. Assistanat à la mise en scène Sophie Rousseau


Elle chante, mais c'est une voix intérieure. On le sent bien, c'est d'abord dans sa tête que ces paroles tant fredonnées résonnent. Une scie, comme il s'en déverse sur les ondes à longueur de journée. Une scie. Oui, mais, quand même, pas n'importe laquelle. L'image d'une danseuse dénudée, à peine vêtue d'une ceinture de bananes vient aussitôt à l'esprit. La Revue Nègre, le cabaret où se produisait Joséphine Baker... Alors, ce son flûté au trémolo ironique, c'est comme un lever de rideau. �J'ai deux amours, mon pays et Paris...�, air connu. Les jazzmen d'autrefois affûtaient leur style sur des saucissons de Tin Pan Alley - cette célèbre rue de New York où se concoctaient les airs à la mode. Thérèse Eglantine, héroïne du roman de Blaise Cendrars, Emmène-moi au bout du monde !..., a pris les traits de la comédienne Claude Degliame. C'est de sa bouche que sortent ces mots tant entendus, mais dans une tonalité mentale qui nous transporte ailleurs, on ne sait pas où.
Longiligne, des jambes sans fin, elle se tient presque en équilibre sur une passerelle étroite qui traverse le plateau. Situation inconfortable. Il est recommandé d'avoir le pied marin. Car cela se passe sur un fil ou presque, cette histoire. On est donc bien dans l'espace du cabaret, mais sans les flonflons, les effets, l'esbroufe. C'est un cabaret réduit au minimum, du genre périlleux pour ne pas dire casse-gueule. Où sont les mots ? Question étrange, mais elle se pose cependant. Les mots, répondra-t-on, sont dans le livre. En l'occurrence, le roman de Blaise Cendrars. Oui, mais ça nous le savons tous. Mais où sont les mots quand nous lisons ? Sont-ils dans notre tête ? On se gardera de répondre. Certaines questions gagnent à être maintenues en suspens. Une chose est sûre, cette gouaille féroce, joyeuse, a élu domicile ailleurs que dans les pages d'un livre. Elle a trouvé un souffle. Ces mots, c'est le corps de la comédienne qui les façonne à présent. Ces phrases heurtées, arythmiques, cisaillées de syncopes, elles sont dans les jambes, dans les bras, dans le ventre de Claude Degliame qui, seule sur scène, réalise là un tour de force éblouissant. A travers elle passent toutes les figures plus folles les unes que les autres qui habitent le roman.
Comme cette Thérèse Eglantine, comédienne célèbre mais plus toute jeune, �sous presse�sous un légionnaire, lequel la besogne sauvagement.�Aïe !... Aïe !... Tu me fais mal salaud !... Aïe !...� . Elle proteste. Et voilà que sans prévenir la submerge un orgasme tel qu'elle n'en avait plus connu depuis des lustres. �Emmène-moi au bout du monde�, beugle alors aux anges l'amoureuse, tandis que l'autre lui démolit le portrait en éructant un �Vérole !� d'agacement. C'est qu'il n'aime pas qu'on le dérange, le légionnaire.
Dans l'affaire, Thérèse Eglantine a récolté un formidable oeil au beurre noir. Pas très heureux quand on est comédienne d'être ainsi défigurée. Surtout qu'elle doit répéter le soir même. Mais en découvrant l'étendue des dégâts en reflet dans la vitrine d'un boucher des Halles où la contemplent des têtes de veaux ébouillantées, Thérèse a un éclair de génie. Ce coquart énorme, elle va le garder, c'est sûr. Elle tient là le plus réussi des costumes. On raconte que Marguerite Moreno serait ainsi apparue dans La Folle de Chaillot avec un oeil poché plutôt conséquent.
Le livre foisonnant de Cendrars, qui n'est pas sans évoquer les romans-feuilletons du début du siècle dont il raffolait, recèle ainsi quelques clés. Il y parle avec pas mal d'ironie du monde du théâtre et d'autres folies. Un travail sur la corde raide, une transposition de haut vol par une actrice hors pair, Claude Degliame, qui n'a pas froid aux yeux.

Production déléguée La Compagnie. Coproduction Le Maillon/Théâtre de Strasbourg, Théâtre de l'Agora/Scène nationale d'Evry et de l'Essonne, La Compagnie. Réalisation Théâtre de la Bastille. La Compagnie est subventionnée par le Ministère de la Culture et de la Communication-DRAC Ile-de-France.